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Le passant ne s’attarde guère sur la façade du 25 rue Bleue, artère du 9e qui n’offre que peu de recul. Pourtant cet édifice construit en 1911 par Henri Bertrand, pour l'entreprise Leclaire, est un bel exemple d’architecture industrielle à ossature métallique, insérée entre deux immeubles haussmanniens.

Symbole de richesse et de modernité, le bâtiment fut commandé en 1911 par la société Leclaire, entreprise florissante de peinture, vitrerie, miroiterie, dorure et papiers peints.

En partie basse, la plus prestigieuse, celle qui accueillait les espaces de vente, le client, en entrant, pouvait admirer les panneaux en marbre ocre, aujourd’hui de la vulgaire tôle peinte, tandis que les étages supérieurs abritaient les bureaux. Des lieux baignés de lumière grâce aux verrières généreuses entrecoupées de colonnettes.

La façade offre à l’œil un mélange de fonte, de verre et de pierre, un mariage audacieux qui évoque à la fois une approche classique, synonyme de tradition, et industrielle révélant déjà une logique fonctionnelle.
On doit les sculptures aux frères italiens Cochi qui signent les pilastres corinthiens en pierre, le médaillon et les ornements classiques.

Le regard est aussitôt happé par le médaillon en relief orné de volutes, tout à la gloire du fondateur Edme Jean Leclaire (1806-1872), représenté de profil.  Surplombant l’ensemble, la Maison Leclaire s’étale en lettres capitales, visibles de la rue.

Une pensée sociale appliquée à l'entreprise

Leclaire qui a débuté comme peintre en bâtiment est l’un des premiers patrons à engager une politique sociale innovante en faveur de ses ouvriers.
Son nom reste associé à la création d’un fond de secours mutuels, une caisse pour les travailleurs en cas de coups durs : maladie et accidents. Une forme de protection sociale mise en place en 1838, chose rare en ce milieu du XIXe siècle affairiste.

Façade du 25 rue Bleue, un mélange de fonte, pierre et verre

Au 25 de la rue Bleue, un bel exemple d'architecture associant le classique de la pierre à la fonte et au verre, symboles de modernité.

Autre dispositif à son actif, la participation aux bénéfices du personnel instaurée dès 1842, l’un des plus anciens exemples formels de participation ouvrière en France. Soucieux de la santé de son personnel, Leclaire fait remplacer le blanc de céruse, peinture à base de plomb à l’origine du saturnisme, la terrible maladie des peintres, par du blanc de zinc. Un geste précurseur en matière de sécurité au travail qui lui vaudra la Légion d’honneur.

Habité par des convictions religieuses et humanistes, Leclaire les met au service de son entreprise avec un modèle qui repose sur la responsabilité du patron garantissant santé, prévoyance et dignité aux ouvriers. Si le paternalisme social domine, il s’accompagne néanmoins d’une réelle redistribution. Des cours gratuits sont proposés aux apprentis leur permettant de gravir les échelons supérieurs, les ouvriers élisent leur chef d’ateliers…

Là où Jean-Baptiste Godin va plus loin et bâtit le Familistère de Guise, véritable coopérative d’habitation et de travail, concrétisant les idées utopistes de Charles Fourier, Leclaire est un réformateur du réel, garant des hiérarchies et attaché à la justice sociale. Le bâtiment construit par ses successeurs, 40 ans après sa mort, prolonge son héritage. Il est non seulement un lieu de travail et de commerce, mais une maison soucieuse d’une économie plus humaine et solidaire s’écartant du modèle strictement capitaliste, une idée qui se retrouve jusque dans l’architecture.

Médaillon de profil d'Edme-Jean Leclaire sur la façade du 25 rue Bleue.

Edifié en 1911, le bâtiment de la maison Leclaire rend hommage à son créateur, Edmé Jean Leclaire, patron précurseur, imprégné de valeurs sociales.

Edmé Jean Leclaire fonda son entreprise de peinture en bâtiment en 1826, qui devint ensuite une Association de production dont le personnel était intéressé aux bénéfices.

Liquidation judiciaire et casse sociale

Le nom de l’entreprise Leclaire a perduré à travers les ans, le savoir faire de ses peintres aussi, reconnu dans le haut de gamme. Ils ont notamment œuvré dans des hôtels de luxe parisiens, pour le Louvre, l’Opéra Garnier ou encore l’Elysée.
Trop à l’étroit dans le 9ème arrondissement, les établissements ont déménagé en proche banlieue pour s’installer définitivement à Ivry-sur-Seine tout en fusionnant avec l’entité Trouvé en 1987.
Rachetée par SPIE Batignolles, le géant du BTP, Trouvé-Leclaire a été cédée à un fond d’investissement en 2013, un événement qui marque le début de la dégringolade.
Dix huit mois plus tard et un redressement judiciaire à son actif, une trésorerie dilapidée et des détournement d’actifs confirmés par le liquidateur, ce sont plus d’une centaine de peintres de la maison bi-centenaire, qui seront massivement licenciés.
Edmé Jean Leclaire doit se retourner dans sa tombe.

Après avoir abrité pendant vingt-deux ans La Maison du Nord-Pas-de-Calais jusqu’en 2002, l’immeuble de la rue Bleue accueille désormais le siège du GACD, le Groupement d’Achat des Chirurgiens-Dentistes.

Frédérique Chapuis

Façade de la 25 rue Bleue

Leclaire District

En l’honneur de Edmé Jean Leclaire, une communauté coopérative qui a accueilli les ouvriers de la société N.O Nelson dans le comté de Madison (Illinois), de 1890 à 1934, portait le nom de Leclaire District. Il s’agissait d’un village ouvrier qui fonctionnait selon les principes sociaux coopératifs imaginé par l’entrepreneur français.