Mythique club de la nuit parisienne, le Bus Palladium tel qu’on le connaît est voué à la destruction. À la place arrive un luxueux complexe hôtelier, avec en sous-sol un club qui reproduira le Bus quasi à l’identique. Du tango aux mix des DJ, en passant par le jazz ou le rock, tous les styles de musique auront résonné au 6 rue Fontaine... une vocation du lieu qui a su perdurer à travers les époques.
Le 6 rue Fontaine : une façade de briques blanches qui se donne des allures d'immeuble anglais
Bien avant les années folles, au tournant du 20ème siècle, le quartier de Pigalle était le repaire d’une faune artistique hétéroclite. S’y côtoyaient peintres, écrivains, musiciens, actrices et les fameuses lorettes, entretenues par des hommes fortunés.
À l’adresse actuelle du Bus Palladium se sont se succédes des cafés-concerts aux noms évocateurs : le Princess’s, suivi des Folies Royales en 1908, puis L’Alcazar Fontaine, le Théâtre des deux masques…
Rumba, biguine et fox-trot
Dans l’immédiat après-guerre, la mode est aux musiques exotiques. Exit le bal musette, on danse le fox-trot, la rumba, la biguine. Le 6 rue Fontaine mêle les genres entre théâtre et soupers dansants. Les orchestres argentins et de jazz tiennent le haut du pavé et l’on vient danser le tango au El Garron-Soupers, qui se transforme en Palermo.
Le grand chanteur argentin Carlos Gardel s’y produit.
Sidney Bechet, en voisin de quartier, vient y jouer de la clarinette. Fin 1928 devant l’établissement, une altercation au revolver entre le musicien de la Nouvelle-Orléans et un joueur de banjo surnommé Little Mike, fait des blessés. L’incident vaut plusieurs mois de prison à Bechet ; extradé de France, ce dernier reviendra vingt ans plus tard à Paris, en véritable star.
Du Cotton Club à l’Ange rouge
Le quartier Pigalle, bien avant le Saint-Germain de Françoise Sagan et de Juliette Gréco, devient l’épicentre du jazz.
Le 7 mars 1929, tous les surréalistes que compte Paris, les acteurs des années folles et la pègre parisienne se pressent à l’ouverture du Cotton Club (reprenant le nom de la célèbre boîte de jazz de Harlem) au 6 rue Fontaine.
Le public applaudit Alberta Hunter, grande chanteuse afro-américaine de blues et de jazz. Joséphine Baker y viendra en voisine.
Plus tard, en 1933, l’endroit redevenu un cabaret et rebaptisé L’Ange rouge accueille sur scène la chanteuse Fréhel. André Breton, qui habite le quartier, y fait jouer sa pièce “Les Détraquées”.
Le lieu connaîtra encore des noms différents, mais conservera les mêmes usages dans l’esprit et le style, jusqu’après la seconde guerre mondiale.
La chanteuse de blues et de jazz Alberta Hunter se produit au Cotton Club en avril 1929.
Paris est un refuge pour les artistes afro-américains victimes de ségrégation raciale aux Etats-Unis.
L'avènement du rock
Au début des années soixante, le grand souffle du rock venu d’Outre-Atlantique emporte la jeunesse française, qui aspire à d’autres modèles. « C’est le temps de l’amour, le temps des copains et de l’aventure », chante Françoise Hardy.
En 1965, le tandem James Arch et James Thibaut ouvre le Bus Palladium, avec l’idée de proposer un lieu pas trop sélect pour danser sur de la musique live. La décoration est simple, c’est un des seuls lieux de Paris où les jeans, bottes pointues et blousons en cuir sont autorisés. Un système de bus accessible pour deux francs récupère les jeunes des banlieues à divers points de rendez-vous.
Au fil de son histoire, le Bus va connaître diverses fermetures et réouvertures. Ainsi, il ferme une première fois quatre mois après ses débuts pour tapage nocturne ; quand il rouvre réellement en 1974, il connaît de nouveau le succès.
Le Tout Paris s’y retrouve : Dalí, qui y organise un grand banquet à l’eau plate, les vedettes de l’époque, Les Beatles, Johnny, Les Chaussettes noires… Mick Jagger y fête son anniversaire. Le Bus devient le temple du rock à Paris.
Antoine le chante dans ses “Élucubrations” – « danser le jerk au Palladium… » – tout comme Gainsbourg, qui a grandi tout près, rue Chaptal : « C’est au Bus Palladium qu’ça s’écoute, rue Fontaine, il y a foule, pour les petits gars de Liverpool ».
En 1977, le groupe Téléphone enregistre sur place son premier 45 tours en public.
Le “Bus d’acier”, créé en 1981, récompense le meilleur groupe ou chanteur(se) de rock de l’année. Parmi les lauréats : Bashung, Daho, les Rita Mitsouko, Indochine…
L’arrivée des DJs
Autres temps, autres styles musicaux, avec la vague techno et les DJs stars qui déferlent sur les nuits parisiennes, ce sera au tour des clubbers d’investir le lieu, devenu boîte de nuit.
En 2010, Benjamin Patou (PDG de Moma Group) reprend avec Cyril Bodin les rênes de l’établissement. Le lieu retrouve alors son activité d’origine, les concerts, qui ont fait son succès depuis plus de cent-vingt ans.
Douze ans plus tard, les palissades de chantier encerclent l’endroit définitivement fermé. Les bulldozers piaffent d’impatience. Les derniers vestiges du Bus vont disparaître dans un nuage de fumée.
Frédérique Chapuis
Juillet 2022 scellera les derniers concerts du Bus Palladium, tel qu'on le connaît aujourd'hui.
Les formations rock se succèdent en fin de semaine, quelques jours avant la fermeture définitive.
Le Bus Palladium
6, rue Pierre Fontaine, Paris 9.