Tous deux sont natifs de Buenos Aires, partagent un appartement rue de Rochechouart et un lieu de création au sein du lycée Jacques-Decour. Ils y poursuivent leurs travaux, autour de la musique pour Marina Cedro, du livre animé pour Gérard Lo Monaco, et se retrouvent sur des projets communs. Rencontre avec un couple, à la ville comme à l’atelier, tout entier dédié à la création, et il va sans dire, amoureux du 9e.

Gérard Lo Monaco et Marina Cedro dans leur atelier au lycée Jacques-Decour, avenue Trudaine.
Transmettre aux plus jeunes
Parmi leurs dernières productions au lycée, une grande fresque murale d’animaux réalisée à partir de l’exposition « Pas si bête » installée à Radio France.
Autre joli projet, un grand livre pop-up « Le monde derrière ma porte » porté par un groupe d’élèves arrivés il y a peu en France.
À travers le surréalisme, un prétexte, ces jeunes de toutes nationalités ont pu s’exprimer librement en français sur leurs rêves et leurs racines.
D’autres se sont initiés à l’écriture de chansons à partir des compositions du spectacle « Pompon Valse » signé Marina Cedro, dans lequel l’ours blanc du sculpteur François Pompon prend vie.
Après avoir traversé la cour du lycée, emprunté des escaliers et des enfilades de couloirs, cornaquée par un groupe d’élèves rigolards, je frappe à la porte du Studio Lo Monaco, niché au 3ème étage dans l’un des bâtiments de la Cité Scolaire.
C’est là que depuis trois ans, les deux artistes cherchent, créent, inventent au milieu d’étagères croulantes de livres et de documentation, de masques d’animaux en carton, de tubes de couleurs, d’instruments de musique, et du théâtre de marionnettes entièrement fabriqué par Gérard Lo Monaco.
Cherchant en vain un atelier pour travailler et stocker, le couple d’artistes faisait la rencontre en 2022 du proviseur Patrick Hautin par l’intermédiaire de Delphine Bürkli, maire d’arrondissement. « Cette dernière a tout de suite été réceptive à notre travail » souligne Gérard Lo Monaco.
Le couple en résidence a rapidement pris ses marques et en parallèle de ses recherches, réalisations et commandes, anime des ateliers à destination des élèves.
« C’est une joie de s’engager et de faire œuvre de transmission auprès des collégiens et lycéens » note Marina, poursuivant On les intéresse en faisant, en sortant les outils, les instruments de musique et les pinceaux. »
Pour Gérard, c’est aussi une manière d’être confronté à de possibles lecteurs de ses livres pop-up.

Grande Fresque "La voix des animaux" réalisée avec les éco-délégués du collège Jacques-Decour. Des illustrations peintes au pochoir sur un mur de 9 mètres sur 3 de haut.
Un touche-à-tout autodidacte
Difficile de résumer en quelques lignes le parcours foisonnant de Gérard Lo Monaco, tout à la fois artiste du livre, décorateur de théâtre, scénographe ou encore marionnettiste.
Arrivé d’Argentine en 1958, destination lointaine où ses parents s’étaient installés pour représenter l’entreprise familiale de broderie, le jeune garçon débarque au Havre à l’âge de 10 ans. De ses premières années, l’homme conserve le goût du voyage et des longues traversées en paquebot.
Très tôt, il affirme son goût pour le dessin, formidable échappatoire à une scolarité chaotique où il s’ennuie ferme : « J’avais le sentiment d’être appelé à d’autres destinés. Dessiner était ma ressource et je n’avais pas d’hésitation sur mon futur. »
Déterminé, le jeune homme entre par la petite porte dans le monde de l’édition. Coursier aux PUF (Presses Universitaires de France), il grimpe les échelons au contact des typographes de la maison. Lecteur curieux, amoureux de la langue française, il s’épanouit. « Le livre m’intéressait par-dessus tout s’exclame-t-il. C’est là que j’ai pris mon encrage et mon envol. » S’initiant au graphisme et à la mise en page, il réalise plusieurs couvertures.
Suivront plusieurs postes chez d’autres éditeurs tels que Balland et Delpire, dont il admire du dernier l’audace éditoriale, ou encore Tchou pour qui il réalise un projet fondateur : « Les murs ont la parole », un ouvrage sur Mai 68 présentant une sélection de graffitis anonymes glanés sur les murs de Paris.
Le jeu sur la typographie et l’importance donnée au graphisme, la rencontre avec des éditeurs qui cultivent alors le goût du livre précieux et du bel objet, autant de marqueurs qui plus tard reviendront sous une autre forme.
De l’édition à la scène théâtrale
À la fin des années 60, sa rencontre avec Jérôme Savary et la troupe du Grand Magic Circus s’avère déterminante. Elle lui ouvre les portes du milieu théâtral pour y concevoir et construire des décors. Son goût pour la perspective, le trompe-l’œil, le décor et la peinture font des merveilles sur scène.
Poursuivant sa formation à Chaillot, alors engagé comme constructeur-décorateur, « à la bonne période où Jean Vilar produit ses spectacles à Avignon », il réalise des décors pour la cour d’honneur du Palais des Papes, foulée par des artistes de renom, tels Maria Casarès et Gérard Philippe.
Avec son collectif, il transforme un bus en camion de cinéma et sillonne les routes du sud de la France, attirant chaque soir un nouveau public autour d’un spectacle mariant projection et musique.
Bricoleur, inventif, il construit un théâtre de marionnettes, s’occupe de la musique, écrit les textes et exécute les manipulations. Une véritable prouesse artistique reconnue par les plus grands festivals de marionnettes dont il sera l’invité régulier.
Il intègre alors le Théâtre national de l’Enfance, créé par Jacques Lang. Décentralisée à Vincennes, sous un grand chapiteau, la troupe joue « L’appareil photo ». Gérard en parle comme d’une expérience extraordinaire et pleine de fraîcheur : « C’était un grand milk shake improbable autour d’une brochette de comédiens et musiciens, certains professionnels, d’autres non, avec des adultes et des enfants. »

Gérard Lo Monaco pose devant son théâtre de marionnettes entièrement fabriqué par ses soins.
À la Cartoucherie, lieu de création théâtrale, il côtoie Ariane Mnouchkine et Didier Bezace, signe les décors pour le théâtre du Soleil et celui du Chaudron. Des années d’invention, de liberté et d’engagement pour la promotion d’une culture populaire.
Au contact de Georges Wilson, Richard Peduzzi, décorateur à l’Odéon, Bob Wilson, Giorgio Strehler ou encore Roger Planchon, Gérard Lo Monaco s’enrichit. Il va pourtant quitter le monde du théâtre pour retrouver celui de l’édition.

Gérard Lo Monaco reçoit un Grammy Award en 2017 pour la conception du coffret Édith Piaf. Warner Music France.

Gérard Lo Monaco signe la direction artistique et l'ingénierie papier du Grand Livre pop-up "Le Petit Prince" avec le texte intégral de Saint-Exupéry. Editions Gallimard Jeunesse.

"Object to Be Destroyed", le métronome de Man Ray vu par Gérard Lo Monaco. Extrait du livre pop-up "Surréalisme". Editions Centre Pompidou.

"Jeux d'enfance", livre pop-up par Gérard Lo Monaco inspiré de jouets modernistes du designer Tchèque Ladislav Sutnar (1897-1976). Lo Monaco Editions.

Gérard Lo Monaco a créé les décors de scène des mythiques concerts de Renaud au Zénith, de nombreuses pochettes de disques et coffrets. Il conçoit en 2020 la scénographie de Renaud, "Putain d'expo ! " à la Philharmonie de Paris.

Le Grand Livre pop-up "Le Petit Prince" ou l'on suit le héros accompagné de son ami le renard, de planète en planète sur les traces du Serpent. Des aventures en trois dimensions, spectaculaires et poétiques.
Le renouveau du livre pop-up
Alors directeur artistique chez Albin Michel, à la Jeunesse et aux Beaux Livres, il initie les illustrateurs maison au livre animé. « Je sentais qu’il y avait une demande et mon goût me portait à approfondir le sujet » explique-t-il.
Sa maîtrise de l’espace et du décor lui permet d’impulser de nouveaux projets en renouvelant un secteur en déshérence comme il le rappelle : « Nous avons en France une tradition d’ingénieurs papier et d’éditeurs. Mais à l‘époque, les livres que j’aimais n’existaient plus. »
Vont suivre des dizaines d’ouvrages animés réalisés pour différentes institutions et éditeurs. Citons ce petit bijou d’édition, « Surréalisme » pour le centre Pompidou à l’occasion des 150 ans du mouvement où chaque page donne vie aux chefs-d’œuvre de Magritte, Man Ray ou Dora Maar ou encore « Le Petit Prince », le grand livre pop-up chez Gallimard Jeunesse.
La force de ses réalisations, dont les maquettes (pliage, découpe, peinture) sont entièrement réalisées à la main, réside dans le mystère et la surprise. Le lecteur est aussi spectateur quand, au détour d’une page, surgit un décor de théâtre en miniature habité de personnages, pour disparaître aussitôt.
Petits bijoux en trompe-l’œil, ces livres animés interrogent notre perception de l’espace tout en nous faisant voyager en enfance.
Profondément inspiré par l'esprit ludique des artistes surréalistes, Gérard Lo Monaco a créé un livre très poétique présentant 8 pop-ups peints à la gouache, inspirés d'oeuvres majeures du surréalisme.
La rencontre avec Marina
L’argentine Marina Cedro quitte son pays en 1999 pour l’Europe. Elle y a appris la musique au Conservatoire de Buenos Aires. « Je voulais jouer, chanter et danser » confie-t-elle.
Après avoir vécu à Londres, en Espagne et en Allemagne, Marina se fixe en France, tout d’abord à La Rochelle, monte sa compagnie et se produit sur scène. Cette musicienne et compositrice passionnée de tango fait la connaissance de Gérard Lo Monaco par l’intermédiaire de Rémy Kolpa Kopoul, à l’époque figure de Radio Nova et grand amateur de musique brésilienne.
Une forte complicité humaine et professionnelle va les souder, chacun nourrissant l’autre avec son univers et ses références. La dynamique s’enclenche.
Il réalise les pochettes d’albums de Marina, invente des décors pour ses tournées à l’international. Les chansons de sa compagne donne lieu à un grand livre de Gérard qui sert de décor à « Pop-Up Symphonie », un spectacle jeunesse joué à Radio France.

Spectacle POMPON VALSE créé et joué par Marina Cedro au centre d’animation Jaques Bravo et en salle Rossini à la mairie du 9e.

Spectacle POP-UP SYMPHONIE, créé par Marina Cedro et joué à la mairie du 9e.
Chez ce couple d’artistes, tout s’imbrique, se mélange, s’enrichit, rien ne se perd. Il y a peu, Gérard dédicaçait au Carré d’Encre, rue des Mathurins, une série de timbres réalisés à partir de motifs de broderie de fleurs, dessinés par son aïeul.
Le couple ne manque pas de projets, certains prendront plusieurs années avant de voir le jour. Citons un ouvrage pour le Palais Galliera sur les liens entre la haute-couture et l’art et une pièce musicale très colorée et tout public autour du Petit Prince, avec livre et CD d’accompagnement.
Retrouvant ses crayons et ses feuilles de papier, Gérard en évoque un qui lui tient particulièrement à cœur, un livre pop-up sur les traces d’un Paris disparu, mettant en valeur des lieux emblématiques du 9ème et d’autres quartiers, citant « L’invention de Paris » de Éric Hazan, un livre qu’il a toujours affectionné.
Frédérique Chapuis

Gérard et Marina participent chaque année au Salon du livre animé qui a lieu le 22 novembre à la mairie d’arrondissement.
À chaque numéro de « Paris Neuf », le journal de la mairie, Gérard illustre un lieu emblématique présent ou disparu du quartier. Une belle évocation tout en couleur du patrimoine historique, culturel et architectural de l’arrondissement.
Leurs adresses du 9e
Faire le marché du vendredi le long du square d’Anvers.
Rue des Martyrs, acheter quelques bons fromages chez Quatrehomme, compléter par de la charcuterie maison Thielen, prendre un café à l’hôtel Amour, revenir par la rue Condorcet, faire une halte chez Mamiche pour le pain, en profiter pour acheter du café chez Coffélia, brûlerie de café et comptoir de thés.
Côté culture : flâner au sein des passages couverts « des merveilles à conserver », consulter le fond très riche lié à la musique et à la danse de la bibliothèque de l’Opéra de Paris.
Avant qu’elle ne ferme, Gérard était un bon client de la librairie Vendredi louant la qualité des rencontres et la sélection d’ouvrages.