Elle est arrivée dans le 9e par hasard et n’en a plus bougé. Marie est agent d’illustrateurs. Sous son allure chic, se cache un certain goût pour la fête. Rencontre.
Marie Bastille, dans son agence de la rue de Douai.
« A l’époque, j’habitais à Bastille alors j’ai appelé mon agence Marie Bastille. Lorsque je suis arrivée dans le quartier, ma mère m’a déconseillée de l’appeler Marie Pigalle glisse Marie dans un sourire, alors c’est resté Marie Bastille ». Depuis 34 ans, Marie est agent d’illustrateurs et conçoit son métier selon des règles bien à elle : « J’assure toute la gestion de projet, le conseil, le devis et la facturation avec le client mais avec l’illustrateur, je suis à la fois la maman, la psy, la comptable.»
Une approche humaine qui lui a permis de nouer des collaborations dans la durée. « J’ai commencé en 1988 et je travaille encore avec certains illustrateurs des débuts » ajoute celle qui voulait devenir prof de sport. « J’adorais le sport mais j’ai vite compris que l’enseignement ça n’était pas mon truc ». Marie reprend des études en communication et décroche son premier job dans une agence de photographes.
Elle apprend vite et ouvre sa propre boîte tout en se spécialisant dans l’illustration « Ça correspondait mieux à mon tempérament. Il y avait des valeurs artistiques alors que dans la production photo de l’époque, on ne parlait que fric ».
Au fil des ans, Marie s’est fait un œil et fonctionne désormais avec une quarantaine d’illustrateurs confirmés.
Du 48 rue de La Rochefoucauld au 47 rue de Douai
Marie connaît bien son 9ème et n’est pas avare en anecdotes « Après le quartier Bastille, je suis arrivée par hasard dans le 9e et j’ai repris les locaux d’une ancienne crémerie rue de La Rochefoucauld. Il se trouve que ce commerce est cité dans La Passante du Sans-Souci, le livre de Joseph Kessel ». Plus insolite encore, un jour, Marie tombe par hasard sur un article de presse qui titre « Les confessions de Johnny » dans lequel le chanteur révèle que son père était partie avec la crémière de la rue de La Rochefoucauld… Seul vestige de l’époque, l’enseigne « Crèmerie fruiterie » toujours visible au fronton du 48.
Quelques mètres en remontant la rue, un bar-restaurant qui porte bien son nom « L’embuscade », rendez-vous de la communauté Cap Verdienne, longtemps fréquentée par Marie. Avec une pointe de nostalgie, elle se souvient de ces années de fêtes : « C’était un quartier peuplé d’artistes. Des chanteurs comme Teofilo Chantre assuraient le spectacle à L’embuscade. Cesaria Évora venait quelque fois écouter, un café à la main, dans l’autre, un verre de cognac. Dans mon agence, les fêtes et les expos se succédaient. À 2h on baissait le rideau et on continuait très tard ».
Dix ans plus tard, Marie est maman de deux enfants et jongle entre l’école, les rendez-vous chez le client ou à l’agence : « Mes copains illustrateurs avaient l’habitude de me dessiner en déesse Vishnu à quatre bras ». Ou à Shiva à huit huit bras, tout dépendait de son emploi du temps.
Les années de fête derrière elle, Marie décide de reprendre un local plus petit et emménage en 1999, rue de Douai.
Aujourd’hui, son agence fourmille d’objets, d’imprimés, d’affiches et autres livres. « Les techniques sont variées : encre, aquarelle, peinture, travail sur ordinateur. Les illustrations se retrouvent sur tout type de supports et nous travaillons aussi bien avec des marques du luxe, de l’édition qu’avec de petits clients » résume Marie.
©adolieDay
©kanako
@MichelCanetti
@sabineforget
Des illustrateurs très demandés
Dans son portefeuille d’illustrateurs, des noms tels que Michel Canetti, qui réalise ses dessins de mode à la main, le travail poétique et coloré de Baptiste Stéphan à la palette graphique, les détournements d’objets pop de Three Koma ou encore les pastiches du Britannique Martin Hargreaves.
Chez les illustratrices, la plus parisienne des Japonaises, Kanako ou encore Adolie Day, Diglee ou Sabine Forget sont très demandées.
« Il y a toujours eu des illustratrices mais elles sont enfin visibles aujourd’hui rappelle Marie. Elles sont féministes, certaines militantes.» Toutes très actives sur les réseaux sociaux. « Quand une marque m’appelle, elle vient chercher un illustrateur, un style et une communauté. On me demande au téléphone des comptes avec au minimum 10 K » précise Marie.
©Baptiste Stéphan
@Martin Hargreaves
Si la communication des marques passe désormais par le numérique où l’illustration joue d’égal à égal avec la photo ou la vidéo, des secteurs plus traditionnels comme le timbre sont toujours demandeurs : « C’est un secteur très dynamique. Pour nos artistes illustrateurs, la contrainte technique est grande mais le travail est passionnant ».
Ainsi l’illustration, loin de s’essouffler, s’affiche de partout. Marie défend bec et ongle les droits d’auteurs de ses protégés. C’est le seul moyen pour eux de se dégager du temps pour s’inspirer et créer.
Frédérique Chapuis
Marie Bastille
47, rue de Douai, Paris 9e