Depuis 1919, la librairie Vendredi éclaire de sa flamme de nombreux esprits venus y dénicher de nouvelles idées, un recueil de poésie ou un essai de philo. Toujours vaillante, elle doit être reprise, son propriétaire actuel étant sur le départ. Mais les négociations avec le bailleur s'enlisent. Un collectif d'habitants, attaché au lieu, s'est organisé autour du libraire José Ameur, huit ans de maison et repreneur déclaré. Le projet : créer une Scic.
Sise au 67 rue des Martyrs, la librairie Vendredi, le nom reste un mystère, référence à Crusoé ? est menacée de fermeture. Un lieu qui a connu cinq générations de libraires, maillon essentiel de la vie de quartier autour duquel gravitent des centaines d’habitants, clientèle fidèle et solide de tous âges, des personnes âgées attachées à leur libraire comme de plus jeunes lecteurs.
Leurs visites animent la librairie et contribuent à cette atmosphère de commerce de proximité qui plaît tant à celles et ceux qui en franchissent la porte. À ce cercle rapproché d’habitués s’ajoute une autre clientèle plus occasionnelle, des chercheurs, artistes et journalistes du quartier, des profs qui viennent y trouver l’inspiration et la matière pour nourrir leurs travaux et leurs oeuvres. Et puis il y a les curieux, empruntant cette rue passante et commerçante du 9ème.
Une librairie de fond
Derrière l’auvent rouge et la vitrine vintage, un décor resté dans son jus, avec des boiseries, des rayons tout en hauteur, deux échelles pour attraper les livres, soit 10 000 références. Un choix d’ouvrages qui témoigne d’une recherche constante d’équilibre entre le fond et les nouveautés, entre des livres dits pointus et d’autres plus accessibles. Le résultat : une librairie « élitaire pour tous », selon la formule d’Antoine Vitez.
« Chez Vendredi, 50 % des livres vendus ont plus d’un an : une partie de la clientèle reçue chaque jour fait le trajet, long parfois, car elle sait, grâce à internet, qu’elle y trouvera des textes dont la librairie est seule, dans un large périmètre, à posséder les exemplaires » indique José Ameur, libraire référent depuis 2016.
Un an plus tôt, Julien Viteau rachetait le fond de commerce à Gilberte de Poncheville et Adrienne Monnier, qui firent vivre le lieu de 1978 à 2015, avant de prendre leur retraite. Aujourd’hui, Julien se retire, José Ameur l’unique salarié, souhaite continuer sauf que la reprise est loin d’être acquise.

Une partie des membres du collectif d'habitants devant la vitrine de Vendredi. De gauche à droite : Carole Poulain, Augustin Langlade, José Ameur et Camille Boisaubert.
Un collectif engagé dans la reprise
D’où une mobilisation citoyenne composée d’éditeurs, de clients et d’habitants, pour alerter, obtenir des soutiens et pouvoir négocier dans les meilleurs conditions un nouveau bail auprès du gestionnaire de biens, propriétaire des murs. Le loyer est bas. Il ne faudrait pas qu’une sandwicherie vienne remplacer les nourritures intellectuelles.
Le projet : monter une structure juridique alliant efficacité économique, développement local et utilité sociale comme l’explique Camille Boisaubert, éditrice et partie prenante dans le dossier : « Nous travaillons sur les statuts d’une Scic, une société coopérative d’intérêt collectif, un modèle d’organisation collégiale et solidaire qui semble parfaitement adapté à Vendredi, respectant le principe une personne/une voix. » Toute personne souhaitant s’investir est la bienvenue.
De son côté, Augustin Langlade, également engagé, a lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 600 signatures (au 7 mai).
Autant de pièces à verser au dossier de reprise et qui, espère-t-on, pourraient faire réfléchir le bailleur et l’infléchir du bon côté.
L’élan de solidarité, l’oreille de la mairie du 9e, redonne de l’espoir à José Ameur : « Tout ces gens qui s’impliquent pour sortir la librairie de cette mauvaise passe, ça n’est pas rien. Ils peuvent compter sur moi et mon dévouement. »

Une vitrine devant laquelle on se plaît à s'arrêter pour contempler la soixantaine de livres exposés.

Quelques boiseries, des rayonnages tout en hauteur et une échelle pour récupérer les livres les moins accessibles.

Sur la table principale, des ouvrages édités par de petites maisons d'édition.
”Vendredi a la chance de pouvoir compter sur une base extrêmement
solide d’habitué(e)s. Cette communauté c’est « l’âme de la
librairie ». José Ameur.

Jeunes et moins jeunes lecteurs ont leurs habitudes chez Vendredi.

La vitre cassée devrait être rapidement remplacée. La réfection complète de la devanture (peinture et menuiserie) est à l'ordre du jour.
Un projet qui tient la route !
Sur ces trois dernières années, les meilleures ventes de la librairie proviennent du fond, hérité de Gilberte de Poncheville, véritables archives de la création du 20e siècle, rassemblées et léguées, puis informatisés et accessible sur le portail Paris Librairies. En continuant à mettre en avant les trésors qu’elle recèle tout en augmentant la proportion d’ouvrages dits à rotation rapide, la librairie devrait parvenir à stabiliser ses finances puis dans un second temps, à assurer sa croissance.
Pour arriver à leurs fins, José Ameur et ses associés pensent à d’autres leviers d’actions comme profiter d’avantage de l’effervescence lors des saisons des prix littéraires. « Il est indispensable que la librairie vive avec son temps, qu’elle soit de plain-pied avec l’époque, l’actualité, et qu’elle garde son doigt sur le pouls de la société » admet le libraire.
Lisant couramment l’anglais et constatant une forte demande, ce dernier voudrait créer un rayon de livres anglophones, étoffer l’offre de bandes dessinées et de romans graphiques.
Autre chemin identifié, faire la part belle à une programmation d’événements, invitation de traducteurs, séances de lecture et de débats autour d’un livre, en s’appuyant notamment sur les ressources locales, tous les auteurs, les artistes et intellectuels qui fréquentent Vendredi.
Il faudra également combler le retard pris sur les réseaux sociaux, la librairie envisage donc une présence sur la plateforme Twitch afin d’interagir en direct avec sa communauté.
Enfin, à l’occasion du projet de reprise, des travaux pour une meilleure circulation à l’intérieur et une nouvelle identité visuelle sont dans les tuyaux. Autant d’éléments qui concourent à redonner à ce lieu un peu d’oxygène, tout en conservant son cachet. Le collectif est prêt à relever les manches afin de pérenniser l’avenir de Vendredi autour de son libraire.
Frédérique Chapuis

Une petite librairie restée dans son jus à la frontière du 18e et du 9ème arrondissement.

📍Librairie Vendredi, 67 rue des Martyrs, Paris 9.
Horaires habituels : du mardi au samedi, de 12h à 20h, le dimanche de 11h à 17h.