Des femmes en burqa dans les rues de Kaboul, des enfants rieurs, un vendeur de thé, les bouddhas encore debout de Bamiyan, ou le bleu profond des lacs de Band-e Amir… De leur voyage en Afghanistan en 1977, Annie et son mari Georges conservent de magnifiques souvenirs et des tonnes de photos. C’est d’ailleurs l’une d’elle, tombée d’un bouquin, qui fut le déclic de cette série de peintures réalisée en 2023.
Avec Saison(s) Afghane(s), Annie Darmon-Tetart expose à la mairie du 9e, près d’une quarantaine de tableaux, des acryliques sur toile et sur papier, représentation d’un pays qu’elle a sillonné plusieurs semaines dans l’attente d’un visa pour le Pakistan qui n’arrivera jamais : le président Ali Bhutto vient d’être renversé, les frontières limitrophes sont fermées.
En 1977, l’Afghanistan, jeune république, connaît une paix fragile, à peine relevé des grandes famines de 72/73. « À Kaboul, on trouvait toute la presse occidentale. Les femmes se promenaient en jupe et en cheveux dans la partie européenne de la ville » se souvient Annie. Dans le vieux Kaboul et les bus, les burqas sont de mise tandis que dans les campagnes les femmes non voilées s’enfuient à l’approche de son mari.
20 ans de relative liberté
Une première saison afghane à laquelle Annie en ajoute une autre pour l’exposition. À partir de clichés réalisés en 2003, cette fois par une amie médecin, qui a effectué plusieurs missions à l’hôpital de Kaboul, elle peint sur papier mis sous cadre, des écolières et collégiennes souriantes en tenues colorées, des femmes avec leurs bébés à la crèche de l’hôpital. “À l’époque, les femmes pouvaient librement travailler et faire garder leurs enfants” lance, désabusée, Annie.
Cette parenthèse de relative liberté se referme avec le retour au pouvoir des Talibans en 2021.
Depuis, l’ONU ne cesse d’alerter sur les politiques d’exclusion et de discriminations envers les femmes menées par le régime de Kaboul. Une coercition des corps et des esprits qui commence tôt.
« Les jeunes filles n’ont plus le droit à l’instruction après 12 ans mais elles peuvent être mariées à partir de 8 ans » regrette l’artiste-peintre qui en juin 2023 est bouleversée par le documentaire « Afghanes », diffusé sur France 5 et réalisé par Solène Chalvon-Fioriti.
La grande reporter et documentariste donne la parole à 4 générations de femmes. Des témoignages forts sur l’enfermement mental et physique qu’elles subissent, vouées à être effacées de l’espace public.
Annie Darmon-Tetart, habitante du 9e, pose devant ses tableaux exposés dans les salons Aguado de la mairie du 9e.
À partir de cette photo de 1977 prise en Afghanistan, Annie en a tiré un tableau, début d'une belle série en hommage au pays et à ses femmes.
Les teinturiers de Poïam Tchaok, Kabul. Acrylique sur toile. 50 x 31 cm. Annie Darmon-Tetart.
Jeux d'enfants, 1977 - Acrylique sur toile - Annie Darmon-Tetart.
Aider les jeunes filles afghanes
Le documentaire servira de déclencheur pour Annie qui met alors toute son énergie à monter une exposition : « Au moins, si ça peut aider quelques filles à sortir de la stratégie mortifère des talibans ».
L’habitante du 9e se tourne naturellement vers sa mairie qui accepte aussitôt le projet et prend langue avec Dominique Dupuy, présidente de Nayestane, créée après la prise de Kaboul en 2021.
Depuis la France, l’association contribue à l’éducation secrète des jeunes filles afghanes de 12 à 15 ans, en coordonnant des actions sur le terrain. Un mouvement de résistance au péril de la vie des familles et des professeurs qui participent au programme « Laissez-nous apprendre ».
« Je ne touche rien. Chaque vente de tableau est réalisée au profit de l’association » précise Annie qui pour préparer l’exposition, a ouvert ses livres et ajouté des légendes informatives à ses tableaux, affiché coupures de presse et une grande carte du pays. Ainsi, on peut lire : “Depuis l’arrivée des Talibans, alors que les femmes ne peuvent plus sortir, ce sont les enfants qui travaillent quand ils ne sont pas vendus”.
Présentés en vitrine, des dessins de jeunes filles issus des classes clandestines, montrent l’angoisse qui sourd mais aussi l’espoir d’accéder librement à l’éducation, droit fondamental de tout être humain.
Et dans un ultime geste féministe, pied de nez aux fondamentalistes religieux, Annie a tracé en lettres capitales cette phrase du philosophe égyptien Quasim Amin du 18e siècle : « L’avenir des nations repose sur l’instruction des femmes. »
Frédérique Chapuis
À Band-e-Amir, seul parc national d’Afghanistan, on peut admirer ces lacs turquoise nichés dans les montagnes de l’Hindou Kouch. Peinture acrylique sur toile - Annie Darmon-Tetart.
Ces dessins ont été réalisés par les jeunes filles des classes clandestines soutenues par l'association Nayestane.
Jeunes écolières sur le chemin de l'école - 2003 - Acrylique sur papier - Annie Darmon-Tetart
Herat. Vendeur de thé - Acrylique sur toile - 31 x 46 cm - Annie Darmon-Tetart.
Instantanés de voyage, Afghanistan 1977
Annie et son mari logent à Kaboul dans un hôtel tenu par une Suédoise mariée à un Afghan. “Tous leurs plats étaient agrémentés de haschich” se souvient-elle en riant. Il y a même un restaurant suisse en ville.
Ils sont toute une petite bande d’étrangers à attendre leur visa pour le Pakistan. Alors ils en profitent pour découvrir les alentours à bord d’un camping car. Annie se rappelle avoir traversé des bazars extraordinaires.
En direction de Band-e Amir, seule une piste permet d’y accéder, la jeune femme de l’époque se retrouve entassée à l’arrière d’un camion avec ses compagnons de voyage.
Ils font halte sur le trajet dans des Chaikhanas, des maisons de thé. « Nous dormions dans de petite chambre tapissée de papier journal, éclairée à la lampe à pétrole. On se lavait avec un bidon d’eau chauffée par le soleil. » Dernier souvenir magique : un petit-déjeuner avec du pain afghan pris sur les bords de lacs aux eaux d’un bleu sublime, “du lapis lazuli le plus profond au turquoise transparent“.
Mairie du 9e, 6 rue Drouot, Paris 9.
Exposition « Saison(s) Afghane(s) » jusqu’au 14 mai.
Annie Darmon-Tetart est présente tous les après-midi.
De 13h à 17h en semaine, sauf jour férié.