Cléo de Mérode, George Sand, Juliette Récamier ou Maria Casarès, autant de femmes qui fascinent Victoria Bonnamour, la fondatrice de Bonâme, marque de mode née au cœur du 9e.
Depuis 2021, la créatrice fabrique des pièces inspirées par ces femmes artistes et le vêtement d’époque. Un vestiaire intemporel et singulier aux coupes parfaites dont l’adresse se partage de bouche-à-oreille.
Après une vingtaine d'années dans l'univers du luxe et de la beauté, Victoria Bonnamour a créé sa marque Bonâme, au cœur du 9e.
Depuis peu, Victoria Bonnamour a enlevé les vitraux occultants qui cachaient son atelier de création et de production aux passants de la rue La Bruyère. Un acte symbolique ? Sans boutique de vente, la créatrice de mode a besoin de visibilité et ne peut compter sur le trafic naturel lié à un pas-de-porte.
Et pourtant, en moins de trois ans, Bonâme a su établir une petite réputation auprès d’une clientèle à la recherche du beau vêtement que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Recevant sur rendez-vous, cette habitante du 9e depuis plus de 20 ans et qui n’en a plus bougé, porte en elle le feu sacré, celui de l’amour pour les étoffes.
Une démarche féministe
Puisant dans des histoires de femmes aux univers créatifs forts, elle rappelle aussi que le métier de les habiller, était un territoire dévolu au féminin. « La première créatrice de mode s’appelait Rose Bertin. Elle habillait Marie-Antoinette » rapporte la créatrice qui s’agace d’un discours qui voudrait que les directeurs artistiques qui ont depuis repris la main sur le corps des femmes « en projetant leur vision et leurs phantasmes », aient révolutionné leur image.
« George Sand et toutes les autres n’ont pas attendu Yves-Saint-Laurent pour porter le vestiaire masculin et se libérer des normes sociales » note-t-elle.
Mais point de nostalgie chez Bonâme. Si Victoria s’appuie sur le passé : « Nous sommes la somme de tout ce qui a été produit avant nous », elle s’adresse bien aux femmes du 21e siècle : « Rien de poussiéreux ni de reconstitution historique dans mon approche. Je fais des emprunts, je modifie, je revisite. J’ajoute un zip, élément moderne, à une blouse. Mes jupes, courtes ou longues, jouent sur les effets de matière. »
Une silhouette qui se remarque
Ses cols Claudine s’encanaillent et osent le cuir, une manchette noir se borde d’un motif léopard, une robe Empire raccourcie, déclinée pour l’été en Liberty, se porte avec des Doc Martens, de quoi secouer l’allure.
De la fin du XIXe siècle, elle emprunte rubans et plissés. Au tournant du siècle, la fluidité et l’élégance se retrouvent dans sa ligne Colette. Comme une ode à la liberté des femmes, quel que soit leur âge, leur morphologie et leurs goûts. Matière, coupe et structure sont travaillées pour accompagner la silhouette.
Ainsi, les plis à l’arrière de sa jupe Cléo creuse la taille et assure un joli bombé.
Porter une veste Cléo de velours avec ses manches gigot comme l’a fait Ève Gilles, une fois élue Miss France, pour ses interviews, lui assure prestance et confiance en elle. « La manche gigot exagère la carrure, donne du volume aux gestes. Elle dit quelque chose du pouvoir, de l’armure et de la mise en scène. Elle se remarque, pose une affirmation » écrit Victoria sur son site internet.
Du costume d’époque, Victoria a piqué les cols amovibles, manchettes, nœuds lavallière et cravates jabot. Des accessoires travaillés sur des tissus couture pour une touche créative, audacieuse ou rétro à associer à un chemisier ou un pull. Et qui se retrouvent avec succès dans les boutiques de musées. Celui de la vie Romantique pour son expo « Héroïnes romantiques », le Petit Palais pour « Le Paris de la modernité » ou encore au musée Cognac-Jay avec des nœuds exclusifs esprit XVIIIe réalisés en Toile de Jouy.
Chemisier George rose indien portée sur une jupe Cléo marine by Bonâme.
Robe Cléo courte en Liberty bleu by Bonâme.
Gauche : jupe longue Cléo et cape de dentelle pour habiller les épaules. Droite : veste Cléo en taffetas de soie noire by Bonâme.
Des références artistiques dès l'enfance
Au contact d’une marraine artiste peintre et artisane, Victoria apprend à dessiner. « J’ai passé des heures au Palais Galliera à recopier des modèles sur un petit carnet de croquis. » Nourrie de références artistiques, passionnée de mode et de costume, la jeune fille choisit une autre voie, plus classique ; celle des études de commerce puis Science-Po pour embrasser une carrière dans les secteurs de la beauté (Groupe Yves Rocher) et du luxe chez LVMH à des postes de management et de développement produit. Victoria coche alors toutes les cases de la réussite.
Un parcours professionnel prenant, deux enfants à élever, la jeune femme trouve malgré tout le temps et l’énergie pour suivre des cours du soir, de couture, de stylisme et de modélisme, mue par son attachement profond pour le vêtement.
Toujours salariée, Victoria décroche un MBA à l’Institut Français de la Mode, un cursus de 18 mois qui la prépare aux responsabilités de gestion d’affaires tout en lui donnant les codes de l’univers de la mode.
Toutefois, c’est bien la partie créative qui l’anime et profitant d’une fin de mission pour Vuitton, « J’avais 20 ans de carrière. C’était le moment ou jamais ! », elle s’autorise enfin à exprimer sa passion, quitte son employeur en 2018 avec la ferme intention de créer sa propre marque.
Le grand saut
Victoria se plonge dans le costume d’époque, dévore livres d’histoire et écume les musées de mode. Et lance une première activité de location de costumes pour enfants : « Tout ce qu’on leur propose en terme de déguisement est pathétique. Que du Disney, synthétique et moche qui ne permet pas de les éveiller au beau, de déclencher une émotion» soulignant la richesse de notre patrimoine culturel en matière de costumes d’époque à partir desquels s’inspirer.
Elle se souvient encore de sa fille portant une robe couleur du soleil, en référence au film Peau d’âne, cousue de ses mains, qui avait rencontré un vif succès à l’école.
En lien avec les Conseils de Quartier de l’arrondissement, elle travaille notamment à la création d’une vingtaine de costumes pour adultes et enfants, à l’occasion du défilé Charivari Place Saint-Georges.
Forte d’un petit fond de collection, elle met en ligne son site internet le 8 mars 2020. Date funeste. La survenue du Covid et les confinements successifs auront raison de son activité, son concept est tué dans l’œuf.
Après s’être donnée quelques semaines de réflexion, entre la fabrication de masques en tissu pour la mairie et la fin de son chômage, Victoria enclenche la seconde. « Tout a été précipité et je suis passée en quelques mois à la phase 2 de mon projet ».
Suivra un an et demi de travail intense avec la reprise de l’ensemble du patronage, l’organisation du système de sourcing de tissu, pour un lancement du vestiaire féminin Bonâme fin 2021.
Victoria travaille désormais des mini-séries disponibles en demi-mesure. « Sur une jupe, je peux par exemple ajuster le tour de taille, ou bien la descendre pour celles qui aiment la porter sur la pointe des hanches » précise la créatrice qui n’utilise que des fins de rouleaux de maisons de couture. Un approvisionnement vertueux qui lui permet de travailler une belle qualité de tissu (satin ou popeline de coton, crêpe, maille, dentelle ou drap de laine…) acheté à des prix compétitifs.
Chemise Sand en hommage à l'écrivaine qui empruntait le vestiaire masculin dès 1830, portée sur une jupe Cléo en popeline de coton noir. By Bonâme.
Dans son atelier, Victoria reçoit stagiaires et apprentis. Ici, le jeune Baptiste prépare un tissu pour la coupe.
Lutter contre la mode jetable
Si traditionnellement, le Sentier récupérait les fonds de rouleaux des grands couturiers, depuis quelques années, le marché s’est réorganisé autour de plateformes digitales qui assurent la revente d’un vaste choix de matières « dormantes ». Ainsi, 70% du stock de Bonâme provient de Nona Source, une plateforme financée par LVHM sur laquelle on retrouve les maisons de mode du groupe de luxe (Dior, Vuitton, Céline, Givenchy, Kenzo…)
Un tissu, source de créativité. « C’est lui qui me donne l’impulsion de démarrage, souligne Victoria, sa couleur, sa vibration, son volume, son touché. Je le visualise dans une forme que je raccroche ensuite à une époque », puis à l’une de ses héroïnes.
Au quotidien, Victoria se bat pour produire des vêtements de qualité, durables et uniques.
« Depuis les années 90 et l’arrivée de nouveaux acteurs de la mode, le public a perdu toute exigence en matière de vêtement » regrette la créatrice. Si la fast et l’ultra fast fashion sont aujourd’hui pointées du doigts pour leur utilisation de produits toxiques, de fibres synthétiques de piètre qualité et de mauvaise teinture, il n’empêche, les ventes continuent d’exploser, portées par un désir de renouvellement constant.
Bonâme fonctionne sur un autre ressort : la noblesse du vêtement, en l’inscrivant dans une longue histoire. D’ailleurs Victoria met en avant le style et l’allure, oubliant la tendance vite démodée.
Des chutes de tissu provenant des ateliers de grands couturiers et de tapissiers.
Revendiquant un savoir-faire français de plusieurs siècles, Victoria souhaite, à son échelle, redynamiser la filière du textile et transmettre aux plus jeunes. Stagiaires et apprentis se succèdent dans son atelier.
Seul limite à sa créativité : le temps qui lui manque. Véritable Shiva, Victoria s’occupe de tout, de sa communication sur les réseaux sociaux en passant par les shooting photos, l’organisation de la production, les rendez-vous pour les essayages sans oublier la paperasse administrative.
L’ensemble des bénéfices est aujourd’hui réinvesti dans l’atelier, l’achat de tissu et le site internet. Pour assurer le quotidien et payer les factures, Victoria donne des cours d’histoire de la mode et de l’économie du luxe. Elle est également présente sur la plateforme d’artisanat Wecando et espère bien un jour vivre de sa passion.
Artisane de quartier, poursuivant son chemin, Victoria souhaite que chaque femme choisissant une pièce siglée Bonâme, de la blouse Sand, un best-seller, facile à porter, à la robe Empire Juliette, pour briller le temps d’une soirée, révèle quelque chose d’elle-même.
Bonâme, 53 rue La Bruyère, Paris 9.
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