Suite du portrait consacré à Isabelle Vareille, médecin généraliste qui prend sa retraite au 1er juillet. Cette dernière avait bien préparé son départ, mais le scénario idéal n’existe pas…
Isabelle Vareille, médecin de famille dans son cabinet de la rue de Vintimille
Nous l’avions quittée un peu ronchon alors qu’elle pestait contre la paperasse et les tâches administratives auxquelles elle devait consacrer de plus en plus de temps : « Plusieurs heures par semaine à répondre à des quantités de mails, se brancher sur le site de la Sécu, quand ce dernier fonctionne – même si elle admet que ça va mieux maintenant – pour faire les arrêts de travail, les prises en charge à 100 %… » Isabelle Vareille n’en démord pas : les outils numériques ne lui font pas gagner du temps mais il faut bien vivre avec son temps. « J’ai été biberonnée à l’écoute, puis à l’interrogatoire et enfin à l’examen des patients. Il est nécessaire de les palper, de les toucher ». Rien d’étonnant à ce que la téléconsultation la laisse perplexe.
« Pour examiner, il faut que les gens se déshabillent. Bien sûr ça prend du temps » reconnaît le médecin qui garde en tête ses patients âgés, peu alertes, qui superposent les couches de vêtements l’hiver. « Et puis, le toucher c’est important, s’insurge-t-elle. Une personne âgée seule, qui la touche dans la vie ? Ne serait-ce que poser une main sur le bras pendant que l’on écoute le cœur ou les poumons fait beaucoup de bien ».
Une pratique fondée sur l’écoute, l’œil, le toucher, qui associée à l’expérience, peut changer le cours d’une vie. Il y a huit ans, se rappelle Isabelle, une patiente d’une vingtaine d’années se présente à son cabinet avec une fièvre carabinée. « Elle n’était pas bien du tout et avait manifestement tous les symptômes d’une grippe. » Mais en plein mois d’août, ce premier diagnostic ne la convainc pas et elle poursuit ses investigations. En examinant la jeune fille de plus près, le médecin découvre une petite tache pourpre sur le ventre. « J’ai aussitôt pensé à une méningite bactérienne qui peut s’avérer fatale si l’on n’intervient pas rapidement et je l’ai immédiatement envoyée aux urgences ».
Sauf qu’à l’hôpital, au vu des seuls symptômes, un diagnostic tombe : c’est la grippe. « Fort heureusement j’avais pris soin de laisser une note avec le dossier du patient » ajoute Isabelle Vareille. Ce n’est qu’après l’avoir lue que les urgentistes prirent la peine d’examiner la jeune fille pour enfin assurer une prise en charge adaptée.
Une médecine générale mal en point
Après toutes ces années à ausculter, diagnostiquer, soulager, prescrire, le docteur Vareille reste fidèle à son serment d’Hippocrate. Elle considère toujours la médecine générale comme un beau métier à exercer et regrette que les nouvelles générations en soient de moins en moins convaincues. « Même dans le 9e arrondissement, nous sommes confrontés à un désert médical, constate-t-elle avec dépit. Les confrères déjà installés sont saturés et ne prennent plus de nouveaux patients. »
Une situation due en partie au Numérus Clausus imposé depuis plus de quarante ans. Si les députés l’ont supprimé en 2019, il faudra du temps pour retrouver un certain équilibre. « Il faut dix ans pour faire un médecin » rappelle le docteur qui pointe d’autres facteurs à la crise des vocations : des horaires à rallonge boudés par les jeunes médecins et le manque d’attractivité lié à la faible rémunération. « Comment faire pour vivre et travailler à Paris quand la consultation est facturée en moyenne 25 €. Une revalorisation s’impose » défend Isabelle Vareille qui voit arriver de jeunes internes peu emballés pour s’installer en libéral et qui envisagent le salariat. « L’avenir passe sans doute par les maisons médicales avec structure et plateau fournis par les mairies. » Il en faudrait plusieurs par arrondissement pour garantir un accès aux soins à tous.
Et même si les conditions de son exercice changent, elle insiste sur le caractère extrêmement riche et varié du métier : « Chaque matin, lorsque j’arrive au cabinet, je ne sais pas de quoi ma journée sera faite. On balaie tout le spectre de la médecine. On ne s’ennuie jamais. » Naturellement, les petits bobos, rhumes, angines et autres gastros s’invitent chaque saison mais « quelquefois un diagnostic bien posé, peut changer le cours des choses et c’est valorisant » tient-elle à rappeler.
La parenthèse Covid
Dès les premiers jours du confinement, Isabelle Vareille, comme tous ses confrères, se retrouve en première ligne. Elle exhume son vieux stock de masques H1N1 pour assurer ses consultations, mais peu de patients toquent au cabinet. Alors, elle s’improvise psy et fait du soutien téléphonique « auprès des plus flippés ». Elle perd deux malades du Covid, des personnes âgées à facteur de risque ; les autres sont plus ou moins secoués. Mais dans l’ensemble, sa patientèle, plutôt privilégiée, a bien réagi à la crise : « Il n’y avait pas trop d’anxiété chez les petits. Avec les ados, ça s’organisait plutôt bien à la maison sans relation conflictuelle avec les parents. » Ce fut plus dur à vivre pour une partie des étudiants. La plupart, loin de leur famille, étaient perturbés. Une période qui a aussi réactivité l’anxiété et les tendances hypocondriaques chez certains patients.
Une fois la crise aigüe passée, le médecin de famille a repris le rythme habituel des consultations et se félicite de ne compter aucun retard de diagnostic ni perte de chance chez ses patients suivis pour un cancer.
Isabelle Vareille et ses pilles de dossiers : sa marque de fabrique
“J’ai été biberonnée à l’écoute, puis à l’interrogatoire et enfin à l’examen des patients”
Une retraite mûrement réfléchie
À soixante ans passés, Isabelle a profité du confinement pour s’interroger et se rendre compte que « ne rien faire m’allait plutôt bien. » Avec le retour progressif à la normalité, sa décision se confirme. Elle prendra sa retraite en 2022. « Au début, je voulais partir le 1er avril, mais ça ne faisait rire personne, à part moi… » Elle opte donc pour un départ au 1er juillet, sans doute pour se rassurer : « C’est sûrement moins difficile de fermer une dernière fois la porte durant les beaux jours. »
Prévoyante, le docteur Vareille avait préparé le terrain, allégé son agenda et trouvé une remplaçante d’une trentaine d’années. « Le deal, c’était qu’elle prenne la suite sauf qu’elle n’a pas envie de s’installer seule, explique Isabelle, compréhensive. De plus, elle s’inscrit dans une démarche plus militante ». Entre soigner les patients bobos du 9e et pratiquer la médecine en banlieue, où les besoins se font criants, la jeune femme a choisi.
Isabelle aurait souhaité partir autrement. Elle ne cache pas sa tristesse : « J’aurai voulu confier mes patients à quelqu’un que j’aurai adoubé. C’était le scénario idéal que j’avais conçu. » Mais elle a eu beau chercher, elle n’a pas trouvé de relève. Avec une pointe de culpabilité, elle pense à ses patients les plus âgés qu’elle « abandonne au milieu du gué » et qu’elle continue de visiter à domicile.
Certains ont dépassé les quatre-vingt dix printemps et ne sortent plus de chez eux. « J’essaie tant bien que mal de leur trouver un nouveau médecin. Et quand j’y arrive, je sais aussi qu’il ne fera pas de visites. »
Pour l’heure, Isabelle peut compter sur des patients compréhensifs qui, depuis un mois, repartent avec leur dossier médical, « ce qui donne lieu à des adieux parfois déchirants. » À l’intérieur des dossiers cartonnés, toutes ses notes non expurgées : « Ils vont voir défiler leur vie » ajoute-t-elle dans un sourire.
Isabelle Vareille se nourrissait de l’affection de ses patients, au propre comme au figuré. Chaque Noël, ils lui offraient chocolats, vins et bouteilles de champagne. Certains lui préparaient même des plats cuisinés.
Il y a vingt ans encore, le docteur séparait vie professionnelle et vie privée mais depuis quelques années, elle a lâché la bride. Elle accepte désormais avec plaisir les invitations de ses vieux patients pour l’apéro ou le thé. « Comme je savais que j’allais m’arrêter bientôt, j’ai pu nouer des relations amicales » glisse la future retraitée.
Bientôt libre de toute contrainte, Isabelle Vareille envisage sa nouvelle vie avec entrain : « Je suis du genre à tourner la page et à passer à autre chose ». Tous ses patients vont la regretter, certains perdent à la fois un docteur et une amie. Ils lui souhaitent bon vent.