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À 65 ans, Isabelle Vareille, médecin généraliste du 9e prend sa retraite au 1er juillet. Un crève-cœur pour ses patients attachés à leur docteur. Portrait d’un médecin de ville comme on en fait plus.

Les derniers moments d'Isabelle Vareille, dans son cabinet, avant la retraite dans quelques semaines.

Les années de jeunesse

Pour Isabelle Vareille, la vocation est arrivée tôt : « À dix ans, je voulais être médecin sans savoir très bien ce que cela impliquait. J’étais une littéraire mais j’ai suivi un cursus scientifique avec une certaine détermination dont je m’étonne encore. » En l’absence de parents médecins qui pourrait justifier son choix de carrière, à l’exception d’un cousin plus âgé, ce fut certainement la présence bienveillante d’un médecin de famille dont elle conserve un souvenir ému qui scella sa décision. « C’était un médecin homéopathe. Un homme assez étonnant  pour qui j’ai développé une grande admiration. Un peu comme un deuxième papa » souligne le docteur Vareille qui lui doit sans doute un cabinet un peu foutraque avec des piles de dossiers qui menacent de s’effondrer à chaque instant. 
Après quelques hésitations sur une spécialisation possible, se dessine rapidement  pour la future praticienne un avenir en libéral afin d’assurer une médecine de proximité « Pendant mes stages, je me suis rendue compte que l’hôpital ce n’était pas pour moi. Il y a un côté trop hiérarchique. Il fallait plaire, faire trop de ronds de jambes » se souvient Isabelle Vareille qui jeune médecin enchaîne les remplacements en province, lieu de son premier fait d’arme.
Alors qu’elle est remplaçante dans un village du Loiret, une épidémie de gastro s’invite pendant l’été. « J’examine un homme très âgé qui montre tous les symptômes de la gastro mais qui se plaint aussi de fortes douleurs au ventre ».
Inquiète, la médecin prescrit une radio. « J’ai dû me bagarrer avec la famille qui ne souhaitait pas s’occuper du vieil homme pour faire réaliser l’examen. » Une obstination qui paie puisque la radio va révéler un problème grave, une occlusion au niveau de l’intestin grêle. Le patient a finalement été opéré. « Il a bien récupéré et j’avais désormais gagné un fan dans le village » glisse Isabelle, modeste.

Un stéthoscope qui restera à porter de main car "il peut toujours servir".

Au mur, des photos prises lors de voyages lointains, objets de discussion avec les patients

L’installation dans le 9e

C’est en 1986 que le médecin s’installe dans le 9e. Elle ouvre un premier cabinet avec un copain de fac, rue de Clichy au 73. À l’époque, Isabelle Vareille qui habite le 14e emménage rue de Vintimille. « Pouvoir me rendre à pied au cabinet en cinq minutes, c’était le grand luxe. » La jeune femme d’alors visse sa plaque et part de zéro : « Le bouche à oreille a fonctionné et je me suis créée ma patientèle ». Une majorité de familles plutôt aisées du quartier, mais également des personnes travaillant dans le 9e, des gardiennes d’immeuble, des employés et des artisans/commerçants qui viennent pousser la porte du cabinet. « J’avais envie d’être un médecin de ville à Paris afin de suivre mes patients dans la durée. J’ai des familles que j’ai soignées sur plusieurs générations ».
Au fil des années, le docteur Vareille a aidé chacun à traverser les épreuves de la vie, à affronter les affections saisonnières ou chroniques. Elle a prescrit les premières pilules, effectué les rappels de vaccin et assuré le suivi des patients atteints de graves maladies.

C’est dans cet accompagnement, dans les bons moments comme dans les mauvais que le lien se renforce : « Je connais plein d’histoires, c’est comme à confesse. Lorsqu’un couple se sépare, je perds parfois l’une des deux personnes dans la bagarre mais pas toujours. Les deux nouvelles familles continuent de venir me voir et tout reste parfaitement étanche » glisse Isabelle rappelant l’importance du secret professionnel dans l’exercice de sa profession. 
Dans l’intimité de son cabinet, Isabelle Vareille tutoie ceux qu’elle a connus enfants et qui affichent maintenant une belle trentaine. Elle appelle les adultes par leur prénom et surtout elle les écoute : « Je ne remplacerai jamais un psy mais l’écoute bienveillante je sais faire. Quelquefois, les gens ont simplement besoin de parler. » Médecin du corps mais également de l’âme, elle aime à dire qu’elle a plusieurs casquettes : conseillère conjugale, assistante sociale, conseillère d’éducation, d’alimentation, voir employée d’agence de voyage. Les belles photos en noir et blanc qui décorent les murs colorés attestent de son goût pour l’ailleurs. « Je partais facilement au bout du monde plusieurs semaines en janvier. Mes patients, tous au courant, acceptaient la situation. Ils me posaient des questions sur les pays visités, demandaient des conseils pour leur futures destinations » se remémore-t-elle dans un grand sourire. 

Je pense être un dinosaure. Le côté médecine kleenex, ce sera sans moi

Isabelle Vareille, médecin généraliste

De la rue de Clichy à la rue de Parme

Au bout de treize ans d’exercice rue de Clichy, elle achète avec quatre autres confrères les murs d’un local au 6 rue de Parme. Une installation et une organisation à plusieurs qui a bien fonctionné : « Il faut être bons copains mais pas trop proches pour éviter les affects et les conflits. Chacun avait un rôle défini et on avançait sans réelles frictions. Il y avait parfois quelques ratés, un tel avait oublié de commander du papier pour l’imprimante ou pour les toilettes mais dans l’ensemble, on s’est bien entendu. »
Tout au long de ces années de pratique, Isabelle Vareille a vu l’arrivée toujours plus croissante des outils numériques. « Des outils censés nous faire gagner du temps mais en réalité, nous n’en gagnons pas » souligne le médecin qui enchaîne dans un haussement d’épaule : « Je pense être un dinosaure. » Quant à l’application Doctolib, ça n’est pas son truc : « Pour les patients jeunes, cela leur convient. En quelques clics, ils ont leur rendez-vous dans l’heure avec un praticien qu’ils ne connaissent pas mais qui va régler leur problème rapidement. Le côté médecine kleenex, ce sera sans moi. »
Isabelle, attachée à un exercice de la médecine où la relation humaine prime, n’oublie pas ses patients âgés, peu agiles sur Internet. « En appelant mon secrétariat téléphonique pour prendre rendez-vous, ils ont une voix au bout du fil qui les reconnaît, qui sait les rassurer. »
Sa marque de fabrique : « Je prends du temps pour chaque consultation alors à la fin de la journée, j’ai systématiquement du retard » reconnaît celle qui n’a jamais compté ses heures. Ses patients auraient du mal à lui en faire le reproche…

Frédérique Chapuis

La suite du portrait d’Isabelle Vareille
Désert médical, un diagnostic qui sauve, le départ à la retraite…