Artiste des arts numériques, Matthieu Poli aime la technique et le cosmos. Des affinités qui lui inspirent des œuvres singulières, tableaux et dispositifs, pour lesquelles la machine est un véritable partenaire de création.
Il est en résidence à la Galerie Beausoleil jusqu’au 17 novembre.
Matthieu Poli pose devant l'une de ses créations réalisées lors de sa résidence d'artiste.
Il a des origines corses mais des allures de mafieux italien. Pour autant, Matthieu est un doux, un pédagogue et, surtout, il est habité par ses recherches autour de la création d’images. Des images qu’il créé à partir de logiciels 3 D et qu’il projette, photographie ou fait exister sur le papier grâce à une machine.
Le mapping vidéo, un choc visuel
Graphiste de métier, c’est en découvrant les premières performances de mapping vidéo que Mathieu Poli a un vrai déclic. « En 2007, j’ai pris une grosse claque visuelle avec le show d’Étienne de Crécy » reconnaît-il. À l’époque, le pionnier de la house française s’est emparé de cet outil visuel pour offrir aux spectateurs des mises en scènes spectaculaires. Avant lui, dès 1986, Jean-Michel Jarre, père des musiques électroniques, projetait des images, certes balbutiantes, sur les immeubles des quais de Saône à Lyon lors d’un concert mémorable devant 800 000 personnes.
Aujourd’hui, ces techniques ont évolué, se sont affinées et l’illusion est parfois renversante. Entre le relief réel et la seconde peau virtuelle, le doute est permis. Prisées des municipalités, ces images projetées, mouvantes, subliment l’architecture d’un bâtiment ou d’une sculpture. Sonorisées, elles écrivent un récit audiovisuel qui met en lumière le patrimoine historique des villes.
Le monolithe de l’infini
Cette nouvelle technologie associant l’art à une dose de futurisme, tout est là pour plaire à notre jeune graphiste qui cherche, se documente et puis se lance. « Seul, dans mon coin, j’ai loué un vidéoprojecteur et travaillé sur des petites maquettes que j’avais réalisées. » Les logiciels disponibles sont encore rudimentaires mais le jeune homme persévère pour aboutir en 2014 à un prototype fabriqué sur le principe des miroirs infinis1. « Mais au lieu de placer des lumières, j’ai eu l’idée d’ajouter un écran à l‘intérieur » signale Matthieu.
Les retours de son entourage sont immédiats et très positifs. Il n’en faut pas plus pour l’encourager à voir plus grand et concevoir une œuvre numérique, baptisée Le monolithe de l’infini, qui s’appuie sur les théories scientifiques du cosmos.
Les vidéos projetées à l’intérieur du bloc noir renvoient à la théorie des cordes, des trous noirs ou encore du chaos, soit six voyages digitaux dans lesquels le spectateur, face au dispositif, est amené à s’interroger sur cette interprétation graphique et musicale des grandes énigmes de l’univers.
On ne peut s’empêcher de penser au monolithe porteur de mystères de « 2001, Odyssée de l’espace » imaginé par Stanley Kubrick dans une séquence inaugurale spectaculaire. Interrogé sur cette référence cinématographique, Matthieu la balaye vite, préférant se plonger dans des ouvrages scientifiques que dans des films ou livres de science-fiction.
Mais pour l’heure, son monolithe remportera un beau succès. « Les gens étaient fascinés, captivés. Ils faisaient une expérience nouvelle ». On le retrouvera à Beaubourg lors des soirées sonores en 2018, au Festival Zéro 1 de la Rochelle. Il partira même en flight-case pour être exposé au Nav Lab de Stockholm en Norvège ou rejoindre les Folies Numériques de la Villette.
De la cité des Sciences à Penninghen
La Villette, un lieu que Matthieu connaît bien. À l’âge où l’on joue au foot entre copains, ce dernier assouvissait sa soif de connaissance à la Cité des Sciences. « J’habitais dans le 19ème, à deux pas de la Villette et j’étais déjà passionné par l’observation de l’espace ».
Un tropisme qui ne l’a pas quitté et qui, adulte, nourrit sa création artistique. L’homme a d’ailleurs investi dans un télescope pour le plaisir d’observer les étoiles et se perdre dans de grandes questions existentielles : d’où venons-nous ? pourquoi est-on là ? « L’observation de l’espace et la physique peuvent nous aider à trouver des réponses, certainement pas la religion ou d’autres théories alternatives » lance Matthieu le rationnel mais qui ajoute, poétique « en ce moment, on peut observer Jupiter qui passe à côté de la Lune et c’est magnifique. »
Si les étoiles donnent au jeune Matthieu d’alors des lumières dans les yeux, ce dernier s’ennuie ferme à l’école. L’enseignement général ne lui convient pas. Ses résultats deviennent rapidement catastrophiques. Or, c’est en intégrant un lycée technique en arts graphiques qu’il reprendra la main sur le cours de sa vie. « J’ai alors repris goût aux études et à l’école en faisant de l’art. Du coup, je suis devenu très bon. C’est important pour la confiance en soi » s’exclame l’ancien mauvais élève. Sur sa lancée, il poursuit en rejoignant l’école artistique Penninghen. Il en sortira avec un Master, des compétences acquises en dessin, en graphisme et surtout, il aura trouvé sa personnalité artistique pour concevoir librement.
Tableau lumineux - Amas Astre rouge
Tableau lumineux - Amas système planétaire
Tableau lumineux - Amas 2001
Des tableaux à brancher
Si le monolithe lui assure une reconnaissance dans les milieux de l’art du numérique, ses amis se plaignent. Ils veulent des œuvres à installer sur les murs de leur salon. Matthieu va s’exécuter et débuter une série « Amas » de tableaux lumineux.
Des œuvres réalisées à partir de clichés d’astrophysique et qui nécessitent l’usage de plusieurs techniques : du dessin numérisé, d’une machine laser pour la découpe, d’une mise en couleur au feutre ou d’un tirage photographique.
Rétroéclairés, la lumière se diffusant à travers les découpes, ces tableaux, œuvres d’art à brancher, incitent à la rêverie en suggérant une vision fantasmée du cosmos. On y revient toujours.
La découverte de la Draw Machine
Le graphiste obligé de jongler entre ses commandes professionnelles et son travail artistique est heureux d’avoir pu intégrer la résidence d’artiste pendant un mois et demi. « C’est un vrai luxe d’avoir un lieu hors de chez soi pour créer ».
Ce samedi après-midi, il est 17h30 lorsque sa « drawing machine » se met sans prévenir à fonctionner. Le bras-robot associé à un stylo rempli d’encre, tel la main d’une brodeuse, trace des points et des traits d’une extrême précision sur la toile bleue au format A1.
« La machine va travailler pendant 6 heures » prévient Matthieu qui ajoute « Ce qui m’intéresse ici, c’est la texture du tracé au crayon. Avec une imprimante, on aura toujours un rendu assez froid et plat. Le crayon donne un dessin plus chaleureux ». La machine, capable de reproduire de manière parfaite les dessins réalisés au préalable sur ordinateur, est le fruit du travail de deux Californiens qui la destinaient aux architectes « puis des artistes s’en sont emparés » glisse Matthieu qui, une fois l’engin réceptionné, a dû l’apprivoiser. « J’ai réalisé de multiples tests afin de maîtriser le logiciel manipulant objets 3 D et ligne vectorielle » admet-il.
Alors que nous parlons, la machine poursuit inexorablement le tracé, faisant entendre un doux chuintement, la chute du stylo sur la toile qui se relève pour repartir un dixième de millimètres plus loin. « Les dessins sont tellement complexes et si précis qu’ils seraient impossibles à réaliser à la main » nous éclaire Matthieu.
Mattieu Poli travaille sur un logiciel 3D. Son dessin est reproduit sur la toile bleue par la Draw Machine équipée d'un stylo.
Des nébuleuses, des supernovas, une invitation au grand voyage
Chaque création, réalisée en cinq exemplaires numérotés sont à admirer à la galerie. Interprétations personnelle des nébuleuses « ces méga-structures de gaz ont une densité infinitésimale, mais elles ont par leurs énormes volumes une influence gravitationnelle », vision artistique de la courbure de l’espace-temps provoqués par ses gigantesques nuages moléculaires…
Des nébuleuses, principalement en noir et blanc, mais auxquelles l’artiste peut ajouter une encre de couleur, faire varier les épaisseurs du trait. Certaines font penser à des relevés topographiques, d’autres à des supernovas mais au lieu de poussières d’étoiles, l’artiste a préféré illustrer l’implosion à l’aide de milliers de mini-briques. « C’est peut-être une étoile artificielle. On est clairement dans le surréalisme » indique Matthieu, avouant avoir beaucoup joué aux Lego petit et s’y être remis avec sa fille.
Interrogé sur le sens de son travail, Matthieu préfère laisser au spectateur le soin d’imaginer sa propre histoire à partir de ce qui lui est donné à voir. « On peut parler d’art abstrait mais toujours exécuté à partir d’une réalité, celle des explorations scientifiques.»
Sur chaque cartel, Matthieu a souhaité inscrire la durée d’exécution du bras-robot, ultime remerciement de l’artiste à sa « drawing machine ».
Tally, l’apprenti artiste quantique
Jamais à court d’idées, Matthieu s’est associé avec un scientifique et un ingénieur. L’objectif de ce trio : développer une machine intelligente, capable de réaliser des productions abstraites mais surtout de prendre en compte le retour immédiat du public pour progresser. « L’idée est de relier un ordinateur quantique à des bras mécaniques pouvant dessiner » explique notre artiste. Une intelligence artificielle apprenante capable de s’adapter au goût du public et de réaliser des productions. Un projet ambitieux et de longue haleine qui nécessite des financements.
En attendant, on peut découvrir les œuvres de Matthieu Poli à la galerie Beausoleil.
1.Miroir infini : procédé d’illusion d’optique à base de lumière leds qui, installées entre un miroir et une plaque réfléchissante, se reflètent à l’infini, donnant l’impression de visualiser un tunnel lumineux.
Galerie Beausoleil
48, rue Notre-Dame-de-Lorette, Paris 9
Fin de résidence de Matthieu Poli et rendu des œuvres : le 17 novembre à partir de 18h.