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Après le Bus Palladium, c’est une autre institution de Pigalle qui disparaît. Le Sans Souci, bar et brasserie de quartier, à l’angle des rues Pigalle et de Douai, a fermé ses portes le 8 mars. Pour les habitués, c’est un drame. Une page se tourne. Envolés les souvenirs de jeunesse.

Une clientèle d'habitués

Les tarifs y étaient raisonnables, l’ambiance bonne, la musique rock, ça mixait certains soirs. Le matin, accoudés au comptoir, les habitués prenaient un petit noir avant d’aller travailler. À midi, on s’enfilait une charcut auvergnate, et le soir, des pintes de bière sous une débauche de décibels.

Le bar avait été racheté par Jean Vedreine en 2008, avec une idée qui a participé au succès de l’entrepreneur ; ouvrir des affaires dans des quartiers encore populaires pour en faire de nouvelles adresses désirables. Il réitère avec Le Mansart, à quelques pas, en 2011. Avec Pierre Moussié qui exploite Chez Jeannette, Le Floréal et Le Parisien dans les 10e et 3e arrondissements, il ouvre La brasserie Barbès en 2015 et le Bouillon Pigalle en 2017.
À la place du Sans Souci, c’est une boulangerie qui prendra ses quartiers. Les travaux sont en cours. Le four imposant est déjà installé.

IntérieurbarLe Sans_Souci
Devanture Fermée du Sans Souci

Le Sans Souci, le 10 mars 2023

Le sans Souci dans les années soixante

Le Sans Souci, dans les années 60

Souvenirs et témoignages d'habitués

Nathalie, arrivée dans le quartier en 2004, habite rue Pigalle.

« À l’époque, avec mon mari Michel, qui adorait les steaks tartare du Sans Souci, on y déjeunait. Le soir, on savait qu’il était impossible de se parler car la musique était forte, alors on regardait les gens, sur une bande-son rock qu’on adorait, dans un décor sympa.
Plus tard, quand Michel a été très malade, je me revois arriver au Sans Souci avec une assiette vide. Le gérant, très sympathique, me faisait un tartare frites sur le pouce, le couvrait d’une feuille d’alu et je remontais vite. 

Dans ce bar pas prétentieux, accueillant et pas cher, les clients se croisaient, se saluaient, se prêtaient le journal, se parlaient. Pendant des années, ma voisine Séverine a pris son café au Sans Souci avant d’aller bosser. Elle y retrouvait tout un petit monde.
C’est un endroit qui faisait vivre le carrefour. Lorsque je rentrais tard, après un spectacle, voir toute cette jeunesse sur le trottoir, c’était rassurant et en même temps joyeux.
»

Le texte hommage de Victorine de Oliveira, notre consoeur de Philosophie Magazine et habituée du Sans Souci À lire ici

Georges Rapin, dit Monsieur Bill

Georges Rapin, dit Monsieur Bill, lors de son arrestation.

Monsieur Bill, le cave de Pigalle

Si l’on se penche un peu sur l’histoire de Pigalle, le Sans Souci fait partie de de la mythologie du quartier, celle des mauvais garçons, des prostituées et des julots.

A la fin des années cinquante, le Sans Souci, petite brasserie de nuit, a pour client un certain Monsieur Bill. Né Georges Rapin, ce fils de bonne famille du 16e arrondissement, est fasciné par le milieu de la pègre. Il fait le beau dans les bars de Pigalle, encore tenue par le milieu corse. Il rêve de se faire une réputation de vrai dur, parade revolver à la ceinture au volant de sa Dauphine Gordini et dévore les romans de Série Noire.
Il s’invente des braquages, mais tient son argent de son père et de sa grand-mère qui lui offrent plusieurs bars. C’est au Sans Souci qu’il rencontre Domino, de son vrai nom Muguette Thirel, une jeune entraîneuse.
Dans un livre savoureux, “Je me souviens du 9e arrondissement”, l’autrice Sonia Kronlund interroge en 2001, Renaud Vincent, ancien journaliste. Ce dernier se souvient du personnage que la presse surnommera le monstre du 9e  : « Il arrivait au Sans Souci avec la casquette, les lunettes de Melville, tout la panoplie. Il prenait l’accent corse, jouait au poker, avait des liasses de billets et tenait à ce qu’on l’appelle “Monsieur Bill“. » Ce dernier, qui se veut le protecteur de Domino, tente néanmoins de lui soutirer 500 000 francs, ce qu’elle refuse, menaçant de le dénoncer.
Alors, celui qui se rêve truand vire à la folie. Il attire la jeune femme en forêt de Fontainebleau et l’assassine de sang-froid. Dénoncé par le milieu, Rapin sera arrêté, avouant et s’accusant d’un autre meurtre, celui d’un pompiste, Roger Adam.
Pour ce double meurtre, il sera, à l’âge de 23 ans, jugé et guillotiné en juillet 1960.

L’histoire de ce tragique fait-divers dans Série noire à Pigalle, Des crimes presque parfaits. Regardez

Joseph Kessel et la passante…

Affiche du film La passante du Sans Souci

Avant d’être un lieu branché et festif, le Sans Souci est au cœur du roman de Joseph Kessel paru en 1936, « La passante du Sans-Souci ». Entre-temps, l’enseigne a perdu son trait d’union. Le narrateur, un journaliste-reporter attablé au Sans-Souci, observe chaque matin une passante, Elsa Wiener, belle et mystérieuse. Il ira à sa rencontre.
Kessel qui pressant l’avenir tragique de l’Europe, évoque le monde interlope de Pigalle et la déchéance d’une femme, sous une plume admirable et pleine d’humanité.

Jacques Rouffio adapte le livre au cinéma en 1982, avec Romy Schneider et Michel Piccoli dans les rôles principaux. Pour les besoins du tournage, l’équipe préféra investir un autre quartier et un autre bistrot, situé dans le 15e arrondissement, à côté du métro Balard, pour restituer à l’écran l’ambiance du Sans-Souci.

Le reportage de France 2 à la sortie du film en 1982 Regardez

Pour une plongée dans le Pigalle d’autrefois

Pigalle – Le roman noir de Paris, Patrice Bollon – Edition Hoëbeke
New Moon, Café de nuit joyeux, David Dufresne – Seuil
Pigalle, René Fallet – Le livre de Poche
Monsieur Éric, Arnaud Ardoin – Robert Laffont
Le Pigalle, une histoire populaire de Paris, un doc de David Dufresne dans lequel le journaliste convoque les hautes figures du quartier. Par ici
Pigalle, la nuit, série française en huit épisodes, diffusée sur Canal+ en 2009, disponible en DVD.