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Sis au 122 rue de Provence, à la lisière du 9e, derrière une façade banale du quartier Haussmann, le One Two Two, maison close très chic, a officié de 1924 à 1946. Un lieu fréquenté par les célébrités du moment, qui venaient y dîner ou prendre un verre dans un cadre luxueux, quand d’autres se rendaient directement au salon pour choisir une fille.

Lorsqu’en 1924, Marcel Jamet fait l’acquisition de l’ancien hôtel particulier du prince Murat, c’est sa femme Fernande – elle se fait appeler Doriane – qui en sera légalement propriétaire. La cause est entendue car l’établissement que les époux s’apprêtent à ouvrir ne peut pas être officiellement tenu par un homme.
Marcel, ancien julot, a amassé un petit pécule en Argentine, avec sa gagneuse Fraisette.
De retour en France, il ouvre un premier hôtel de passe puis fait la rencontre de sa future femme, pensionnaire au Chabanais, maison close de haut vol, située dans le 2e arrondissement.

Le couple débute son activité avec quelques filles choisies, dont le nombre va progressivement grimper jusqu’à plus de soixante dans les meilleures années. Les affaires sont florissantes dans l’entre-deux-guerres et le petit immeuble aux volets clos sera surélevé de quatre étages par Marcel en 1933.
Le One Two Two devient une adresse prisée du tout-Paris.

Des plaisirs tarifés exotiques

La façade du 122 rue de Provence, adresse de l'ancienne maison close le One Two Two

Au 122 rue de Provence (8e, lisière 9e), la façade cachait une maison close.

La chambre paquebot de la maison close le One Two Two

La chambre cabine Transaltlantique

La chambre africaine du One Two Two

La chambre africaine

La chambre indienne du One Two Two

La chambre indienne

Les vingt-deux chambres, façon décor de cinéma, transportent les clients dans un tour du monde des plaisirs : la chambre corsaire et son lit à baldaquin qui tangue au rythme du roulis. Mieux, la cabine de l’Orient-Express reconstituée, avec bruitage du train diffusé par haut-parleur et en option, l’irruption d’un faux contrôleur chargé de se joindre aux ébats. On ne manque pas d’imagination chez les Jamet pour répondre aux fantasmes d’une clientèle en attente de nouveautés, d’autant que la concurrence est rude. Le Chabanais tient le haut du pavé avec des pensionnaires triées sur le volet, des clients aussi distingués que le futur roi Édouard VII et une décoration au luxe fastueux. Le Sphinx, dans le 14e, joue pratiquement dans la même catégorie avec une déco d’inspiration néo-égyptienne.
Au One Two Two, les jours de relâche n’existent pas. L’endroit est ouvert chaque jour de l’année, de 14 h à 5 h du matin. Le client peut s’allonger en bonne compagnie dans un tipi indien, une chambre igloo pour briser la glace, un grenier à foin pour trousser la fermière ou encore une chambre égyptienne avec une Cléopâtre majestueuse.

Des hôtes de marque

Si les filles, étroitement surveillées par Madame Doriane, proposaint toute une gamme de plaisirs tarifés, les personnalités en vue venaient prendre un verre au café-fumoir, le Miami. Michel Simon, dit-on, y donnait ses rendez-vous. On dînait au Bœuf à la ficelle, dans un cadre luxueux, un restaurant d’une cinquantaine de couverts dressés sur une table en forme de fer à cheval.

On y croisait Tino Rossi, Édith Piaf, un Maharadjah et sa suite, ou encore Gabin et Fernandel. Les Américains Cary Grant, Humphrey Bogart et Katharine Hepburn fréquentèrent le restaurant, tout comme Mistinguett, Marlène Dietrich ou encore Charlie Chaplin.

L’arrivée de Fabienne

Avant-guerre, les chiffres donnent le tournis. Au One Two Two, Doriane encaisse jusqu’à 200 passes par jour, fait servir plus d’une centaine de bouteilles de champagne. Or, si les affaires tournent bien, celle-ci décide de quitter le lupanar en 1939, au bras d’un riche diplomate.
Marcel, sans tenancière, se tourne alors vers Georgette Pélagie, dite Fabienne, une ancienne pensionnaire capable de tenir la conversation et élevée au rang de gouvernante.

Dans un livre, une sorte de biographie publiée en 1975, décrivant le fonctionnement du lieu, Fabienne Jamet écrit, nostalgique : « Imaginez un gigantesque salon circulaire dont le parquet était recouvert d’un tapis vert imitant la mousse, entouré de colonnades montant vers un vélum, ébauche de temple grec. Dans chaque intervalle, un socle éclairé par un projecteur. Sur chacun des supports, une femme, mince ou bien en chair, grande, parée, en robe du soir, figée comme une statue, épaules nues, un sein parfois totalement à découvert. […] Merveilleux déjeuner de campagne. Il en venait à l’homme une moiteur aux mains et une excitation soudaine. »

Marcel Jamet dans les cuisines de son restaurant avec deux filles dévêtues

Marcel Jamet dans les cuisines de son restaurant

La salon dans lequel les clients choisissaient les filles du One Two Two

Le client était introduit dans le salon de choix

Des officiers allemands chez eux

Fabienne et Marcel Jamet

Marcel et Fabienne Jamet

Marcel Jamet, de vingt ans son aîné, l’épouse en 1942. Dans un Paris occupé, souffrant de privations, il offre un repas de noces somptueux aux cinquante invités présents. Les magnums coulent à flot et Fréhel, dans le besoin, chante son répertoire réaliste.
Suite à un décret de Vichy, les maisons closes restent ouvertes. Les officiers allemands et ceux de la Gestapo en profitent pour se détendre au One Two Two après leurs missions, tandis que les représentants du marché noir ont leurs tables attitrées.
La maison close ne connait pas les tickets de rationnement et on régale les représentants de la Wehrmacht de belles filles et de mets fins. « Ah ! si les Allemands avaient gagné la guerre, les bordels seraient encore ouverts », s’exclamait Fabienne, des années plus tard, naïve et cynique.

L’établissement de plaisirs ferme ses portes en 1946, comme les 176 autres maisons closes de Paris, suite à leur interdiction en France, une loi portée par Marthe Richard, ancienne prostituée, fausse espionne, surnommée « la veuve qui clôt » par Antoine Blondin. Dans son discours devant le Conseil municipal de Paris, cette dernière fustige la prostitution réglementée, jugée périmée et immorale, et souligne la compromission du milieu avec l’occupant allemand.

Qui était Marthe Richard ? Regardez

Couverture du livre One Two Two par Fabienne Jamet

De son côté, Fabienne écrit : « Et puis voilà, un jour d’octobre 1946 – le ciel devait être très bas et pluvieux -, les lumières s’éteignirent, les rires se cassèrent, les jeunes femmes ne revinrent plus et pour la première fois au 122, rue de Provence, les volets s’ouvrirent. “Cachez ce sein que je ne saurais voir.” Des Tartuffes avaient décidé la fermeture des “maisons”. Belles âmes sans reproches, incapables de faiblesse humaine… Le One Two Two n’existait plus. Une époque se terminait. Où pourrions-nous aller ce soir, à Paris ? ».

Marcel réussit à vendre l’immeuble, pour quelques millions, au syndicat patronal des Cuirs et Peaux de France. Une très bonne affaire.  La fédération française de la tannerie-mégisserie a toujours sa plaque dans l’entrée. Le mobilier fut vendu, les décors des chambres détruits lors de l’aménagement des bureaux.

Le couple Jamet ne s’est jamais relevé de la fermeture du One Two Two, essuyant plusieurs échecs après des reprises d’établissements, bars, hôtels, restaurants. Marcel va finalement trouver un emploi comme chef des cuisines à l’aéroport d’Orly. Après son décès, Fabienne prend la gérance d’un hôtel de passe clandestin miteux. Elle tombe pour proxénétisme.

Avec ses contrastes, le monde des maisons closes, à la fois clinquant et sordide, a généré tous les fantasmes et toutes les corruptions. II a inspiré peintres, hommes de lettres, photographes et cinéastes.

Frédérique Chapuis

Le Bar de la maison Souquet, hôtel 5 étoiles à Paris

Le bar - © Maison Souquet

Retrouvez le frisson à la Maison Souquet

Plus de soixante-dix ans après la loi Marthe Richard, certains lieux récupèrent les codes des maisons closes de l’époque, pour en faire leur carte de visite. C’est le cas de la maison Souquet, un hôtel de luxe 5 étoiles du 9e, dont l’entrée discrète se signale par deux lanternes rouges. L’ancienne école de filles fut, pour deux ans seulement à la Belle Époque, une maison de plaisirs dirigée par une Madame Souquet.
Sur demande des repreneurs, le décorateur Jacques Garcia s’est nourri de ce passé coquin pour créer un intérieur luxueux respectant une architecture très codifiée. L’opulence, le style mauresque, les velours carmin, tout distille ici une atmosphère audacieuse tout en restant de bon goût. Filant la métaphore, les chambres et suites portent le nom de courtisanes célèbres (La Païva, la Belle Otero…) qui firent chavirer les cœurs et plumèrent leur protecteur.
Le lieu est ouvert au public tous les jours de 17h à 1h du matin pour siroter un cocktail Dita à base de champagne-vodka, catégorie Les belles horizontales, et grignoter autour d’une carte de petits mets. Mocktail à 13 €. Cocktail à partir de 20 €.
Maison Souquet, 10 rue de Bruxelles, Paris 9.

Note de la rédaction : le numéro 122 est localisé rue de Provence, dans la partie située dans le 8e arrondissement de Paris.

👉 Pour creuser le sujet

L’Âge d’or des maisons closes, Alphonse Boudard, Albin Michel
Maisons closes parisiennes – Architectures immorales des années 1930, Paul Teyssier, Parigramme
🎥 Archives Ina : sujet sur les maisons closes notamment le 9 rue de Navarin, avec Alphonse Boudard comme guide.