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La découverte d’un appartement oublié, figé dans le temps pendant 70 ans, a permis de retrouver un tableau inédit de Boldini. Un hommage à la beauté de l'occupante, Marthe de Florian, demi-mondaine de la Belle Époque.

Ce jour de printemps 2010, le commissaire-priseur Olivier Choppin de Janvry, mandaté par un notaire de province, dans le cadre de la tutelle d’une vieille dame habitante d’un village d’Ardèche, ne se doute pas de ce qui l’attend en ouvrant la porte du 3ème étage au 2, square La Bruyère, dans le 9e.

Il est accompagné de Marc Ottavi, expert en tableau, spécialiste des XIXe et XXe siècles à Drouot. Dès l’entrée, les deux hommes sont accueillis par une autruche empaillée mais ce n’est pas tout.
Dans la demi-pénombre se dévoile un appartement richement décoré, un salon encombré de meubles et de bibelots, de tiroirs débordant de lettres et billets galants entourés de rubans, de journaux posés sur un meuble, de flacons de parfum à demi remplis, comme si l’occupante venait de claquer la porte le matin pour y revenir le soir-même.
Dans ce décor luxueux figé dans le temps et recouvert d’un manteau de poussière, tout est typique de la mode Belle Époque.

Salon de l'appartement de Marthe de Florian figé dans un état 1900 et redécouvert en 2010.

Un intérieur Belle Époque intact aux bergères Louis XVI patinés par la poussière du temps. ©Luc Pâris.

Le clou de la visite

Dans le salon, leur apparaît un tableau représentant grandeur nature, une femme dans une robe de soierie rose, de profil, le chignon presque défait, le décolleté paré d’un collier de perles.
Il est signé Giovanni Boldini, l’un des portraitistes les plus en vue du Tout-Paris de la fin du 19e siècle. Il s’agit d’une toile inédite, inconnue des catalogues et rapidement authentifiée par l’expert.
Grâce aux lettres conservées sur place, l’identité du modèle fut vite retrouvée : il s’agissait de Mathilde Beaujiron (1864-1939), femme de condition modeste, de mère brodeuse, qui connut une ascension sociale manifeste en usant de ses charmes. La « grande horizontale » pris le pseudonyme de Marthe de Florian, pratique alors en vogue chez les demi-mondaines.
« Boldini l’avait saisie dans la plénitude de sa beauté. Le talent de l’artiste l’avait transcendée et lui avait donné, ce qui manque à la photographie : ce souffle de vie qui ne se retrouve qu’en peinture, sous la main d’un maître » écrit l’expert en tableaux, relatant sa visite qui demeure pour lui, la plus belle découverte de sa carrière.

L’élégante mena grand train, recevait dans son salon hommes d’affaires et politiques de la IIIe République dont elle s’était fait une spécialité. Aucun ne résistait à ses charmes, pas même Clemenceau alors ministre, ni Deschanel ou le président Poincaré. Richement entretenue toute sa jeunesse, elle finit par épouser un commerçant.

Sa petite-fille n’était autre que Solange Beaugiron, la vieille dame terminant sa vie dans le sud de la France. Celle qui fut la dernière occupante des lieux, sans avoir rien touché aux trésors de son aïeule, le quitta en 1940 au moment de l’exode, suite à un mariage avorté avec un Russe. Devenue auteure de romans à l’eau de rose pour « Jours de France », elle ne revint jamais dans l’appartement de sa scandaleuse grand-mère mais continua à en payer les charges.

Portrait de Marthe de Florian par le peintre Boldini : Représentation d'une belle femme vêtue d'une robe rose chatoyante, au décolleté généreux, de profil, chignon presque défait et collier de perles au cou.

Portrait en pied de Marthe de Florian. Huile sur toile, 147 x 114 cm, Giovanni Boldini (1842 – 1931),1903.

À son décès à l’âge de 90 ans, les héritiers décidèrent de disperser les biens aux enchères. Le jour de la vente à Drouot, en septembre 2010, l’ambiance était électrique. Le Boldini fut adjugé 2,1 millions d’euros. C’est un collectionneur italien qui remporta la mise.

Frédérique Chapuis

Vue du salon de l'appartement de Marthe de Florian figé dans un état 1900 et redécouvert en 2010. Collection Particulière.

Une salle à manger encombrée de mobilier style néo Renaissance avec plafond à caissons. ©Luc Pâris.

Autruche empaillée et vieux Mickey, retrouvés lors de la découverte de l'appartement de Marthe de Florian.

Dans l'entrée, une autruche empaillée, un vieux Mickey Mouse datant des années 30. ©Luc Pâris.

Détail de la console à psyché avec boitier et poudre sur la tablette

Sur la console en acajou, la poussière du temps s'est déposée sur les brosses à cheveux et les fioles de parfum. ©Luc Pâris.

Pour aller plus loin :

  • Le roman « L’appartement oublié » de Michelle Gable publié en 2014 (Éditions des Falaises) raconte l’histoire romancée de cette découverte.
  • Marc Ottavi décrit par le menu détail cette visite si particulière sur son site :