Quoi de mieux pour fêter la Saint-Valentin que d’écouter à deux la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz, une musique qui lui fut inspirée par un coup de foudre amoureux. Auteur romantique par excellence, le compositeur, critique musical et chef d’orchestre fut une figure du quartier.
Paris, septembre 1827, scène du théâtre de l’Odéon. Dans la salle, une brochette de personnalités du monde de la littérature et de la musique, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, venus assister à la représentation d’Hamlet de Shakespeare par une troupe de comédiens anglais.
Harriet, le coup de foudre
Sur scène, une ravissante actrice irlandaise, Harriet Smithson dans le rôle d’Ophélie subjugue le compositeur qui en tombe éperdument amoureux. « L’effet de son prodigieux talent, ou plutôt de son génie dramatique, sur mon imagination et sur mon cœur, n’est comparable qu’au bouleversement que me fit subir le poète dont elle était la digne interprète » écrit, exalté, le compositeur dans ses Mémoires.
Pour le jeune musicien, le sentiment amoureux est la principale source d’inspiration. « Laquelle des deux puissances peut élever l’homme aux plus sublimes hauteurs, l’amour ou la musique ? […] L’amour ne peut donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l’amour. Pourquoi séparer l’un de l’autre. Ce sont les deux ailes de l’âme. »
Portait d'Harriet Smithson par Claude-Marie Dubufe. L'original est au musée Magnin de Dijon
La Symphonie Fantastique écrite en hommage à Harriet Smithson, la muse inaccessible Écoutez
Estelle, l’amour de jeunesse
Lui, qui dès douze ans, tombe éperdument amoureux d’une voisine, Estelle Fornier, âgée de dix-sept ans. Un premier chagrin d’amour qui lui inspire sa première mélodie, des notes qu’il reprendra des années plus tard pour composer le début de sa Symphonie Fantastique1, en hommage à Harriet, sa grande passion.
Camille, le mariage avorté
Harriet Smithson restant inaccessible malgré la cour épistolaire de Berlioz, ce dernier s’éprend au printemps 1830 de la pianiste Camille Moke, l’un et l’autre enseignent dans une école de musique, elle le piano, lui la guitare.
Fiancé, assuré de l’épouser, le compositeur part séjourner à la Villa Médicis, prix de Rome en poche. Resté sans nouvelles plusieurs semaines, une lettre de Madame Moke, l’informera sans ménagement du mariage de sa fille avec Camille Pleyel2, facteur de piano.
L’épisode loufoque qui suit le retour de Berlioz, furieux et trahi, est relaté dans ses Mémoires avec beaucoup d’autodérision.
Exalté, passionné, romantique, l’homme pense à se battre en duel avec le facteur de piano, tuer Camille et sa mère et ensuite se suicider. Or, arrivé à Nice, sa colère s’affaiblit et la nécessité de se supprimer ne lui paraît plus du tout aussi évidente.
Laissant son déguisement de femme de chambre, ses deux pistolets à deux coups et sa strychnine pour accomplir son forfait, goûtant la douceur niçoise et repris par « l’amour de la vie et l’amour de l’art », il s’en retourne à Rome, soulagé, poursuivre son travail.
Portrait de Camille Moke par Joseph Kriehuber. Elle mènera une brillante carrière de pianiste internationale
Enfin, la rencontre
Harriet Smithson par Eugène Devéria
Décembre 1830 signe la première exécution de la Symphonie Fantastique, autobiographie sentimentale du compositeur, au Conservatoire devant le Tout-Paris. Mais ce n’est que deux ans plus tard que Berlioz triomphe véritablement dans la même salle et ravit le cœur de Miss Smithson qui lui est enfin présentée. « L’accent passionné de l’œuvre, ses brûlantes mélodies, ses cris d’amour, ses accès de fureur […] devaient produire et produisirent en effet une impression aussi profonde qu’inattendue sur son organisation nerveuse et sa poétique imagination » écrit Berlioz dans ses Mémoires.
Transportée par la musique dont elle est l’inspiratrice, la jeune actrice finira par répondre positivement aux sollicitations renouvelées du compositeur.
Malgré une farouche hostilité des deux familles, Harriet et Hector se marient au courant de l’automne 1833. Le couple qui aura pour témoin de mariage, Franz Liszt, s’installe à Montmartre. Un petit Louis, leur fils unique, naît dix mois plus tard.
À l’époque, l’inconfort de la Butte pousse la famille rue de Londres, aujourd’hui située dans le 9e. Tandis qu’Harriet met fin à sa carrière de comédienne, dès 1841, les tensions au sein du couple se multiplient.
Marie Recio, la maîtresse
Berlioz entame alors une liaison avec la cantatrice Marie Recio rencontrée en 1842. Tous deux voyagent à travers l’Europe puis emménagent en 1844 rue de Provence tandis qu’Harriet s’installe rue Blanche. Le couple officiel se sépare sans divorcer3.
Le compositeur continuera néanmoins de subvenir aux besoins de sa femme et de son fils jusqu’à la mort de celle-ci en 1854, victime deux ans plus tôt d’une congestion cérébrale qui la laissa paralysée et aphasique.
Ami intime de Berlioz, Franz Liszt qui a transcrit pour piano la Symphonie Fantatisque, lui écrit : « Elle t’inspira, tu l’as aimée, tu l’as chantée, sa tâche était accomplie. »
Marie, maîtresse possessive et chanteuse médiocre, suit le musicien dans tous ses déplacements en Europe et assure la gestion de sa carrière.
Au décès de sa femme, Berlioz se remarie après dix ans de vie commune avec la mezzo soprano. Il l’épouse en octobre 1854 à l’église de la Trinité et écrit à son fils « Cette liaison, par sa durée, était devenue, tu le comprendras bien, indissoluble ; je ne pouvais ni vivre seul ni abandonner la personne qui vivait avec moi depuis quatorze ans. »
Hector et Marie s’installent en 1856 au 17 rue de Vintimille puis déménagent à quelques centaines de mètres de là, au 4 rue de Calais. Marie Recio meurt brutalement en 1862 d’une maladie du cœur.
Portrait de Marie Recio. Collection du musée Hector-Berlioz, à la Côte-Saint-André (Isère)
Une fin solitaire
Resté seul, Berlioz a un ultime sursaut romantique. En 1864, il rend visite à son premier chagrin d’amour, Estelle. Il retrouve intactes les émotions, qu’il avait ressenties près de cinquante ans plus tôt « Je reconnus sa démarche et son port de déesse. […] en la voyant, mon cœur n’a pas eu un instant d’indécision et toute mon âme a volé vers son idole, comme si elle eût encore été éclatante de beauté. […] Je ne respire plus, je ne puis parler. »
Dans une lettre enflammée, il réclame son affection et la demande en mariage, chacun d’eux étant maintenant veuf. Elle le raisonne : « Il est des illusions, des rêves, qu’il faut savoir abandonner quand les cheveux blancs sont arrivés, et avec eux le désenchantement de tous sentiments nouveaux » et accepte une correspondance amicale.
Berlioz aura survécu à ses deux femmes et à son fils, capitaine au long cours, décédé tragiquement à Cuba, le laissant inconsolable. Il s’éteint le 8 mars 1969 chez lui à l’âge de soixante-cinq ans, seul et opiomane. Dans son testament, il lègue une rente annuelle de seize cents francs à Estelle, en souvenir des sentiments qu’il a éprouvés pour elle toute sa vie.
Hector Berlioz repose au cimetière de Montmartre (avenue Berlioz, 20e division, 1re ligne), auprès d’Harriet Smithson et de Marie Recio.
FRÉDÉRIQUE CHAPUIS
- Par son écriture novatrice, le choix des instruments, l’originalité de leurs utilisations, leurs combinaisons et l’audace des effets, la Symphonie fantastique, composée six ans seulement après la 9e symphonie de Beethoven, fait du jeune Berlioz (il n’avait que vingt-sept ans) l’un des premiers maîtres de l’orchestration de la musique classique
- Ce dernier ouvrira en 1839 la première salle de concerts Pleyel au 22, rue de Rochechouart, située à deux pas de la célèbre manufacture de pianos.
- Le divorce instauré en 1792 pendant la Révolution sous une forme très libérale, maintenu par Napoléon, sera aboli sous la Restauration en mai 1816 (loi Bonald) puis rétabli en juillet 1884 (loi Naquet)
Pour aller plus loin
- 👉 On vous conseille cet excellent site sur Hector Berlioz avec la retranscription écrite de ses Mémoires.
- 👉Musée installé dan la maison natale d’Hector Berlioz à la Côte Saint-André (Isère)