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D'un film culte, celui dont les séquences ressurgissent dans nos souvenirs et conversations, Plakat, éditeur installé rue Fontaine, réalise des affiches ciné alternatives. Ou comment résumer deux heures d’émotions en une seule image.
Au final, une petit bijou qui transforme la nostalgie en visuel contemporain.

Paul Bijaoui, fondateur de Plakat, présente l'affiche alternative du film "Le Parrain" de Francis Ford Coppola, 1972.

Au mitan des années deux mille, Paul Bijaoui alors à San Francisco pour boucler son cursus d’école de commerce découvre les affiches de films dites alternatives. « Le concept d’appliquer des codes graphiques actuels aux films anciens était une idée lumineuse » explique le trentenaire.
À l’époque, les ciné-clubs américains qui diffusent des classiques du cinéma sont confrontés à une difficulté : les affiches originales des films sont introuvables. Comment alors communiquer sur la programmation ? L’idée est géniale et fait un tabac : les distributeurs confient à de jeunes illustrateurs la conception d’un nouveau visuel ; tout le challenge consiste à prolonger l’univers du film en jouant sur l’esthétique. Très vite, ces affiches connaissent un gros succès et la société éditrice Mondo, basée à Austin (Texas) va devenir la référence d’un marché, certes de niche mais très recherché par les amateurs.

De retour en France, Paul débute une vie professionnelle dans l’univers de la logistique, dans le droit-fil de ses études. Sauf que le désir d’entreprendre et de travailler sur une matière plus créative le rattrape. Son univers familial, avec un père cinéphile et une mère passionnée de déco, motive certainement son choix.
En 2018, son entreprise Plakat, affiche en polonais, voit le jour autour d’une petite équipe. « J’ai un grand-père polonais et il se trouve que ce pays a une longue tradition d’affichistes » souligne le jeune entrepreneur. Une hérédité non négligeable, ce courant artistique novateur remontant aux années cinquante est considéré comme l’inventeur de l’affiche moderne.

L'affiche polonaise

Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’État polonais, étroitement inféodé à Moscou, a repris en main l’industrie cinématographique du pays. Les structures étatiques chargées de la communication et de la diffusion des films vont s’adresser à des artistes issus des Beaux-Arts de Varsovie et de Cracovie. De grands noms tels que Jan Lenica, Jakub Erol, Roman Cieslewicz ou encore Romuald Socha, sont issus de cette « École polonaise ».

À cette époque, l’affiche était l’une des rares formes d’expression tolérée par le parti communiste. Les artistes en renouvelèrent le genre et le rôle, leur influence et notoriété dépassèrent les frontières. En pleine guerre froide, il importait à l’Est de sortir du cadre graphique imposé par l’ennemi américain en proposant une esthétique dénuée des contraintes commerciales et publicitaires. Ces œuvres d’art passaient le rideau de fer et faisaient la joie des amoureux du 7ème art à l’Ouest. Aujourd’hui, elles sont toujours recherchées sur le marché de l’affiche de collection.

Affiche polonaise du film "La panthère rose" de Peter Sellers, par Jan Mlodozeniec

Affiche polonaise du film "Star Wars" de Georges Lucas, par Jacub Erol

Affiche polonaise du film "Les aventuriers de l'arche perdue" de Steven Spielberg, par Miroslaw Lakomski

Plakat, l’affiche de ciné décomplexée

Paul a souhaité développer cette approche très visuelle en créant Plakat. Affranchies des contraintes marketing actuelles (utilisation du photomontage et abus de gros titres) qui doivent inciter le public à franchir la porte des salles de cinéma, les affiches alternatives répondent à un vrai challenge créatif : « L’objectif est de réussir à prolonger l’univers d’un film tout en réalisant un objet esthétique ».

Comme il le précise, cette revisite implique de nombreuses heures de recherche pour tomber juste et nécessite un gros volet juridique. « C’est l’étape la plus importante. Obtenir l’accord de la production détentrice des droits sur le film et lui présenter des esquisses du projet » sur lesquelles elle doit statuer. Il se souvient de débuts difficiles : « Sans portfolio à présenter, les distributeurs français se montraient frileux. Nous devions alors présenter ce qui se faisait de mieux aux États-Unis pour les convaincre ». Quatre années plus tard, le catalogue s’est étoffé et au moment des négociations, les plus belles affiches font office de sésame.

Outre le distributeur, Plakat doit également décrocher le feu vert des ayants droit du film ;  le droit moral, spécificité française du droit d’auteur permet de sanctionner les atteintes à l’œuvre. « Dans la majorité des cas, ils sont globalement très réceptifs. Parfois, ça coince et il faut accepter que certains protègent le film original » glisse Paul, tout en fair-play. C’est là que réside la beauté de Plakat, faire avec des contraintes, retravailler les esquisses afin d’obtenir l’adhésion des intéressés, tout en proposant un réel parti-pris visuel. Ce fut le cas pour « L’homme de Rio » de Philippe de Broca. La première version soumise : un mélange de différentes scènes du film, n’a pas fait l’unanimité chez les ayants-droit. L’illustrateur s’est, en définitive, concentré sur une scène unique, représenté sous un angle particulier. L’affiche est attendue en cours d’année.

La situation peut également se complexifier lorsque les acteurs ou leurs ayants-droit, représentés sur le projet d’affiche, refusent de donner leur imprimatur. Il faut alors se débrouiller, montrer de dos ou faire sans. Ce fut le cas pour l’affiche de « The God Father » (Le Parrain) représentant la scène d’ouverture du mariage.
« Nous avons travaillé avec la Paramount qui a émis toute une série de normes à respecter. Parmi celles-ci, nous n’avions pas le droit d’utiliser l’image d’Al Pacino. À moins d’avoir son 06 et de lui demander directement ajoute Paul, on a fait sans lui ». Une absence bien vite compensée par la présence du patriarche Vito Corleone, (Marlon Brando). Ce dernier nous fixe de son regard perçant. Derrière cette scène de célébration joyeuse se cache une cruelle réalité… On connaît l’histoire !

Création originale de Sébastien Plassard inspirée du film Pierrot le Fou, réalisé par J-L Godard, 1965.

Le film "Drive" de Nicolas Winding Refn, 2011, revisité par l'illustrateur américain Dan McCarthy.

Des illustrateurs de tous pays

Plakat collabore avec un pool de trois cent illustrateurs de toutes nationalités. A chaque projet, le challenge consiste à trouver le bon illustrateur, où comment arriver à faire fusionner l’univers du film avec l’esthétique de l’artiste. Ce dernier, qui n’a pas totale carte blanche, s’inspire du « brief créatif » transmis par Plakat.
« J’oriente en fonction de divers paramètres : une scène particulière, une thématique, un panorama… » précise Paul. Le résultat est parfois déroutant, parfois génial, mais toujours réussi. « Les goûts et les couleurs ne se discutent pas » ajoute celui qui assume ses choix de directeur artistique. « Au départ, on peut trouver absurde de mettre une artiste chinoise sur un Lelouch » mais l’univers de Feifei Ruan, jeune illustratrice chinoise installée à New York, collait avec celui d’« Itinéraire d’un enfant gâté ».

Dans le cas de « Mommy », le réalisateur Xavier Dolan, en donnant son accord, s’est fendu d’un petit mot regrettant que l’affiche revisitée n’ait pas été celle accompagnant la sortie de son film. Un beau compliment pour l’équipe de Plakat qui ne compte pas ses efforts pour aller jusqu’au bout de la démarche. « Le cinéma est un petit milieu de gens passionnés qui aiment et qui connaissent très bien les films » relève Paul qui garde en mémoire des rencontres passionnantes. Tel un Serge Bromberg de Lobster Films, « qui me garde plus de deux heures dans son bureau pour me raconter des tas d’anecdotes inédites sur le cinéma ».

Des séries très limitées

Une fois le dessin final validé, le fichier est transmis dans un atelier de sérigraphie en Belgique où il sera imprimé sur un papier d’art. Pour Paul, c’est toujours un plaisir renouvelé de faire le voyage et de regarder les ouvriers préparer les machines, les encres, déposer la peinture : « C’est un travail artisanal dans lequel les connaissances techniques s’acquièrent avec l’expérience ». Les couleurs, imprimées sur le papier, les unes après les autres, offrent un rendu, une profondeur qui reste supérieur à l’impression numérique. Leur tenu dans le temps est également appréciée des amateurs d’art.

Chaque modèle d’affiche Plakat est tirée en petite série, entre 65 et 400 exemplaires. Pour trouver le point d’équilibre, un savant calcul tient compte de nombreux paramètres : la renommée de l’illustrateur, les royalties à reverser, le nombre de couleurs utilisées. Enfin, chaque tirage est numéroté et signé de l’artiste afin de garantir son authenticité. Jouant sur la rareté, Plakat ne réimprime jamais les affiches.

Du Mépris à Drive

Parmi les hits qui ont fait les beaux jours de la maison d’édition, citons les affiches du film « Le Mépris » de Jean-Luc Godard, celle de « La Piscine » de Jacques Deray, deux films cultes de la cinéphilie française. Pour les films à l’international, le travail remarquable de l’artiste Keving Tong sur l’affiche de « Drive », une impression en 11 couleurs, est impressionnant. « Il l’a dessinée puis encrée intégralement à la main et à l’échelle » tient à préciser Paul.

La scène, imaginée par l’illustrateur, reprend le thème du bonheur familial impossible qui court tout au long du film. Dans un autre genre, « Paris Texas », illustré par l’artiste Dan McCarthy, répond à merveille à l’ambiance cinématographique du chef d’œuvre de Wim Wenders. Toutes ces affiches de très belle facture sont proposées dans une fourchette de prix oscillant entre 50 et 300 euros.

Une clientèle plus déco que ciné

Seul éditeur sur ce marché en France, Plakat s’appuie sur un réseau de revendeurs triés sur le volet : concept-stores, magasins d’affiches, le MK2 Bibliothèque ou encore La Samaritaine. Des négociations sont en cours pour obtenir des emplacements au sein de la Fnac et du BHV Marais.

Au bout de quatre ans d’existence, Plakat touche plusieurs segments de clientèle.  « On pensait s’orienter vers un public de cinéphiles mais la clientèle se modifie et l’on intéresse désormais des gens qui aiment la déco et les beaux objets ». Comme ce couple de trentenaires venu acheter l’affiche de « Paris Texas », sans connaître le film. « Ils l’ont loué sur internet le soir même » ajoute Paul. L’histoire ne dit pas s’ils l’ont apprécié mais au moins, ils ont accroché au mur de leur salon une belle affiche sérigraphiée qui ne ressemble pas à celle de leur voisin. « Bien sûr, quand une personne qui adore à la fois le film et l’illustration pousse la porte de Plakat, c’est cadeau » conclut dans un sourire le maître des lieux.

Frédérique Chapuis

Plakat
20 rue Pierre Fontaine, Paris 9.
Ouverture : du lundi au vendredi : de 10h à 19h.
samedi : de 14h à 19h.