Du kitsch, du geek, du loufoque, impossible de ne pas sourire, voire de s’esclaffer en découvrant l’univers de Mathieu Gibault, le patron de « Dis Bonjour à la Dame », une boutique d’objets jamais banals, à l’ombre de l’église Notre-Dame-de-Lorette.
Mathieu Gibault, éternel enfant et patron de "Dis bonjour à la Dame".
Humour décalé, dérision, détournement et jeux de mots, voilà ce qui anime Mathieu dans ses choix. Sa boutique/atelier regorge de bidules, d’objets et d’accessoires, rapportés de ses voyages au Japon et aux États-Unis, dénichés sur Instagram ou conseillés par sa bande d’amis.
Lorsqu’il arrive dans le 9e en 2012, Mathieu sort de deux années de résidence artistique au 59 Rivoli. Alors, il expose ses peintures et celles de ses copains artistes puis ouvre progressivement son antre aux objets de la culture geek, à ceux chinés en brocante, guidé par ses envies : « Vous trouverez ici tout ce que j’aime », avec un fil conducteur simple, ne pas se prendre au sérieux et se marrer quand on peut.
Des objets et jouets à l'image du patron
Parmi ses coups de cœur, des statuettes Goldorak, que du neuf car « les modèles d’époque sont intouchables. » Un incontournable pour cet éternel enfant, qui a l’âge de 10 ans, fut bouleversé par l’apparition du robot sur le petit écran, au tournant des années 80.
Sur les étagères, des bonshommes Playmobil côtoient des Dinky toys, petites voitures de collection à destination des enfants et de leurs pères.
On remarque une figurine Marguerite Duras réalisée à partir d’une projection 3D tirée d’un dessin de Pochep. À la manière d’un jouet japonais bien à l’abri dans sa boite vitrine, l’écrivaine est représentée derrière ses immenses lunettes de myope. Sublime, forcément sublime !
On trouve aussi des bondieuseries qui brillent et clignotent « J’ai toujours aimé ça. Le côté kitsch me fascine » avoue l’homme, sourire en coin.
Dans un coin, des portes clefs olé olé, en vitrine, des puzzles 1000 pièces « Je m’emmerdais », « des savons sale gueule », une carafe poisson qui glougloute ou encore une vieille carte de panneaux de signalisation routière, sans oublier le fameux poulet jaune qui pond des œufs, « Les gens me disent, c’est dégueulasse mais je prends » glisse l’esthète du barré.
Pour l’été et les jeux de plage, le patron a dégoté de fabuleux frisbees en latex ultra colorés de chez Turbokid.
Tout cela donne un lieu foutraque, bigarré et irrésistible où il faut prendre le temps de regarder, de fouiller pour trouver l’objet ou le jouet unique qui fera plaisir.
Rattrapé par l'art
On imagine mal le joyeux drille en costume-cravate et pourtant, ce dernier, après des études très sérieuses d’économétrie, soit l’estimation statistique de modèles économiques, embrasse une carrière « aussi brillante que courte » de courtier d’assurance.
À 26 ans, il choisit de quitter le chemin tout tracé, la vie de bureau l’assomme, et d’ouvrir dans le 15e une première boutique à destination des enfants. Avec son associée illustratrice, ils créent des cartes postales, des faire-part de naissance, donnent des cours de peinture.
Au départ de son binôme, resté seul et alors que les affaires s’essoufflent, Matthieu ferme et choisit de se consacrer totalement à la peinture et à l’illustration, une parenthèse créative de deux ans au 59 Rivoli qui l’accueille en résidence. Ce grand fan d’Edward Hopper, d’Alex Katz, ” il réalise des portraits formidables“, et de Jean Dubuffet reprendra mollement la recherche d’un nouveau lieu.
C’est une amie résidante du quartier Notre-Dame-de-Lorette, qui lui souffle l’adresse vacante.
Installé depuis 2012 rue Fléchier, longeant l’église, « un endroit sympa même si la rue est compliquée », Mathieu est sauvé par les embouteillages : « Nombre de clients qui passent la porte me disent : J’étais coincé au feu rouge et j’ai vu votre boutique. »
Quant à l’enseigne, l’idée, surgi lors d’un énième dîner entre copains à chercher un nom, résonne immédiatement à ses oreilles : « J’ai reçu une éducation bourgeoise, bien comme il faut. Et cette phrase, « Dis bonjour à la dame », je l’ai entendue toute mon enfance » glisse-t-il.
À l'âge de 10 ans, Mathieu est resté bloqué sur Goldorak.
Marguerite Duras en Japanese toy (Exemplaire Editions)
Des Vierges illuminées aux couleurs irisées.
Une boutique où il faut prendre le temps de regarder pour trouver son bonheur
Le tablier de cuisine indispensable pour faire marrer les copains.
Un peu de vaisselle chinée, du geek, d'anciennes cartes du monde, des objets soigneusement sélectionnés par Mathieu.
Le projet Mimiche
Dans son atelier ouvert sur la boutique, il travaille quotidiennement à son projet Mimiche, un assemblage et collage de bouts de cartes Michelin pour créer des mondes nouveaux.
Il est pas peu fier d’avoir réussi à associer au même endroit Moscou, Pyongyang, Jérusalem, Abou Dabi et Medellin. Un concept personnalisable accessible à partir de 100 euros.
Ainsi, le client peut lui demander une carte réunissant des endroits qui lui sont chers. « Il suffit de me donner une liste de villes et je créé une bout de côte, une île, en intégrant les destinations » explique Mathieu. Soit une nouvelle carte, non liée à un territoire, et qui se regarde comme on lirait la biographie d’une personne. Une formidable idée de cadeau de mariage ou d’anniversaire.
L’homme s’est attelé à une nouvelle version, en ajoutant des petites figurines de cyclistes ou de voitures anciennes, à l’assaut de routes de montagne.
Des stocks de cartes Michelin encombrent l'atelier, un précieux matériau pour le projet Mimiche.
En cours : un projet pour un client féru de vélo.
"Adults Only"
À ses débuts dans le 9e, Mathieu profite de la présence d’un sous-sol pour en faire un espace interdit aux enfants. Une fois la volée de marches descendues, les clients découvraient des dessins érotiques et se retrouvaient nez à nez avec un énorme godmiché en forme de Tour Eiffel, nommé « La Tour est folle ». « Les gens descendaient curieux et remontaient très vite. Ça a fait un bide complet » se marre Mathieu.
Un jour, il y entrepose un carton, et l’endroit, débarrassé de l’œuvre incongrue, devient son espace de stockage.
Un lieu d'exposition vivant
Des dessins de chiens de l’illustrateur Walter Glassof ont envahi la boutique cet hiver. « L’idée : on détache la feuille, on passe à la caisse et l’on acquiert un dessin original pour 10 ou 20€ » précise le patron. Il en reste encore quelques exemplaires à la vente.
Sur les murs, on remarque quelques huiles de la jeune normande Justine Lemaire. « Elle utilise un technique très classique tout en choisissant des sujets et des cadrages très photographiques. Elle a un talent fou ! » s’enthousiasme Mathieu qui souhaite mettre en avant des artistes, jeunes et moins jeunes.
Sa clientèle ? Une population qui habite ou travaille dans le quartier et de plus en plus de touristes étrangers. Des Italiens, des Espagnols, des sud-Américains, guide à la main, qui descendent de Montmartre à Notre-Dame-de-Lorette, certains originaires de Dubaï et des Émirats arabes unis qui eux aussi ont grandi avec Goldorak à la télé.
Questionné sur le 9e, Mathieu le définit comme bobo, un terme qui n’est pas péjoratif dans sa bouche, et vivant, avec tout de même un petit bémol : « Si la rue des Martyrs est peut-être devenue une caricature d’elle-même, il faut aller fureter dans les petites rues perpendiculaires pour trouver plein de chouettes boutiques et une variété de produits. » À bon entendeur !
Frédérique Chapuis
Mathieu expose des artistes. Ici, des chiens signés Walter Glassof accessibles à partir de 10€.
Dis bonjour à la dame,4 rue Fléchier, Paris 9.
Horaires d’ouverture : du mardi au samedi, de 11h30 à 19h.