Les habitants du 9e mis en lumière par Le Nouveau Neuf.
Vous l’avez peut-être aperçue pédalant dans les rues du 9e, plutôt du côté de la rue de Clichy. On reconnaît Fiona FitzPatrick, @fifi.desmartyrs.paris, à ses tenues souvent très colorées et à ses grandes lunettes qui lui mangent le visage. Cette Irlandaise, qui a adopté Paris il y a plus de 30 ans, nous a donné rendez-vous chez Vincenzo, une trattoria de poche donnant sur la place Adolphe Max. Une adresse comme elle les aime, « loin des bars branchouilles et sans âme. »
On attaque donc le jeu des questions/réponses sur fond de chansons d’amour napolitaines.
Le Nouveau Neuf : Fiona, qui es-tu ?
Fiona FitzPatrick : Je suis de nationalité irlandaise bien que née à Londres, de parents irlandais qui se sont connus à Londres, comme de nombreux jeunes immigrés à l’époque.
J’ai grandi en Zambie en Afrique jusqu’à mes 16 ans. Je suis ensuite retournée habiter en Irlande, à Limerick, la ville de mes grands-parents, dans le sud-ouest du pays.
Je suis maman de Raphaël, un grand garçon de 19 ans qui a grandi et fait sa scolarité dans le 9e. Et je suis formatrice et traductrice en anglais.
LNN : Ta première fois à Paris ?
FF : En 1983, encore étudiante, je voulais apprendre le français et j’avais trouvé un travail dans une petite agence de voyage près de l’Opéra. J’ai tout de suite adoré et avalé la vie parisienne, même si je n’ai pas appris un seul mot de français, à part « Ne quittez pas ! » (rires). À l’époque, je fréquentais les journalistes du Herald Tribune. On formait une petite bande et on sortait aux Halles, on allait au Front Page, au Conway’s ou chez Joe Allen. On s’amusait bien.
LNN : Pourquoi as-tu quitté l’Irlande ?
FF : Comme toutes les personnes qui grandissent à l’étranger, qui ont connu d’autres cultures, c’était une décision naturelle, instinctive de m’éloigner. J’avais envie de connaître autre chose. J’ai ce besoin de rencontrer l’autre. Paris représente le début de ma vie d’adulte. C’était en 87.
LNN : Tu arrives dans quelles circonstances dans le 9e ?
FF : J’arrive en 2006 au 27 rue Clauzel, après avoir vécu une quinzaine d’années dans le 11e. Je débarque alors dans un arrondissement que je ne connais pas, seule avec mon fils de 18 mois. C’est seulement quand Raphaël a intégré la maternelle que ma vie comme habitante du 9e a vraiment démarré. J’ai alors rencontré d’autres parents et j’ai commencé à m’investir dans une association de parents d’élèves. Il y a eu comme un déclic, l’envie de participer à la vie de quartier.
J’avais le sentiment d’être une privilégiée. Ici, je trouvais les gens beaux. J’étais étonnée de voir de jeunes parents se baladant avec leurs enfants, comme des trophées.
Fiona FitzPatrick à la terrasse de la trattoria, Chez Vincenzo.
LNN : Deux ans plus tard, tu pars vivre à quelques pas, au 40 rue des Martyrs…
FF : Arrivée en 2008, j’y suis restée 12 ans. J’ai vu la rue changer et les prix grimper ; mais les commerces de qualité ont tenu. Je connaissais de nombreux commerçants, comme la fleuriste en bas de la rue. Quand nous avons déménagé avec mon fils, en mars 2020, ce fut presque un soulagement. Bien que la rue soit très attirante, pour les anciens il y a eu comme une trahison. Dans mon immeuble, il y avait encore des petites dames qui avaient grandi là et avec lesquelles j’adorais discuter. Petit à petit, elles ont disparu, remplacées par des locations Airbnb.
LNN : Tu es active sur les réseaux sociaux, sur les groupes Facebook comme « Collectif Paris 9 » pourquoi ?
FF : J’appréhende ce groupe comme un moyen d’échanger des biens, de donner ou de vendre à petit prix, de trouver des infos pratiques. C’est devenu un réflexe de ne plus rien jeter. Je suis également active dans le groupe « Mums in the 9 ». J’aurais bien aimé avoir ce genre de groupe lorsque j’étais avec mon fils, seule, sans famille. C’est très rassurant.
Plus généralement, des échanges se créent qui répondent à un vrai besoin économique en circuit court. Mais je n’y ai pas trouvé de vraies relations sur un plan personnel.
LNN : Quelle est ton implication au sein du Conseil de quartier Blanche-Trinité ?
FF : C’est mon amie Valérie, qui fait partie du bureau, qui m’a incité à m’impliquer. J’ai participé à l’organisation de la fête de quartier en juillet dernier. C’était très réussi.
Nous aimerions développer un marché de producteurs Place de Budapest, un endroit un peu oublié. Le sujet a été évoqué auprès de l’adjoint responsable des commerçants à la mairie. Il faut encore en discuter.
Notre quartier manque cruellement de primeurs et donc de produits frais. Et en même temps, il y a une vraie demande pour une alimentation saine. Nous regrettons la fermeture du magasin Biocoop en bas de la rue de Clichy. Nos rues sont dotées de commerces pour le midi : bagels et autres échoppes de street-food, mais on ne nourrit pas les familles avec ce genre d’adresses.
Nous attendons également beaucoup de l’embellissement de la rue de Clichy. La rue du Cardinal Mercier, totalement réaménagée, est maintenant magnifique. Tout cela participe au bien-être des habitants.
LNN : Quand tu te balades dans le 9, tu te dis ?
FF : Je me dis tous les jours que j’ai de la chance de vivre ici. C’est vraiment très riche au niveau historique. J’adore par exemple Michel Güet, qui grâce à ses visites transmet sa passion et met en valeur le patrimoine de notre arrondissement. Dans les rues, on peut croiser la maire du 9e, Delphine Bürkli, qui connaît ses administrés par leur prénom, leur parle, les rassure. Jamais je n’ai vu ça dans le 11e. Là-bas, on ne savait même pas qui était le maire.
À Dublin, cet été, j’ai pu admirer au Hugh Lane Gallery deux tableaux d’Eugène Boudin, qui habitait rue de Vintimille. J’ai envoyé les photos au personnel de la mairie.
LNN : Ce que tu n’aimes pas chez le Parisien ?
FF : Le Parisien, et plus généralement le Français, est toujours en train de râler, mais il a en même temps cette capacité à poser des questions, à débattre, à ne pas se contenter de ce qu’il a. Il demande toujours un peu plus. C’est sain.
Je me souviens, alors jeune fille, avoir lu un article sur l’importance du langage dans Libération, qui évoquait les premiers mots dits par les enfants dans différentes cultures. Les petits Japonais disent « oiseaux, arbres, la nature », les Américains, « TV and car », que du matériel. Chez les petits Français, ce sont les expressions « j’aime, j’aime pas, beau, pas beau ».
Fiona FitzPatrick lors de la fête de quartier Blanche-Trinité, le 2 juillet 2023, en compagnie du groupe The Squat Cat's Jazz Band.
J’ai alors compris qu’ici, on apprenait très jeune à apprécier la beauté, à juger. Cette notion du goût, du regard est primordiale. Chez nous, dans la culture anglo-saxonne, c’est mal vu de donner son avis. En France, on apprend très tôt à avoir un esprit critique.
LNN : Si tu devais quitter le 9, tu irais où ?
FF : J’ai beaucoup voyagé dans ma vie et vraiment Paris, ce n’est pas juste la ville où j’habite, c’est le lieu qui m’a révélée à moi-même. C’est ici que j’ai trouvé la liberté d’être Fiona. Les Français ne savent pas ce que c’est que de vivre sans liberté. Moi j’ai connu l’emprise de l’Eglise catholique et la vie constamment dans la culture du consensus, sans jamais oser dire ce que je pensais réellement.
Alors pour répondre à la question, je ne suis pas prête à bouger ou bien je reviendrais vite à Paris sous un autre nom pour tout recommencer.
LNN : Dans la rue, on te reconnaît à ton look…
FF : Jusqu’à l’âge de 18 ans, j’ai été scolarisée chez les bonnes sœurs. J’aimais bien porter l’uniforme, je trouvais ça chic et en même temps, il fallait se distinguer, rien qu’avec un petit badge par exemple. On faisait très attention car les sœurs avaient des yeux d’aigle. On profitait donc du week-end pour mettre un peu de fantaisie dans nos tenues. Adulte, j’ai continué. J’aime être surprise et surprendre.
Et puis, ma mère aimait beaucoup la mode, j’ai grandi avec ce modèle. Enfant, je lui demandais « Mais Mum, pourquoi tu as besoin de tant de chaussures ? », invariablement, elle me répondait « Chérie, tu comprendras quand tu seras adulte ». C’est resté gravé là.
LNN : Dans ton panthéon personnel, tu mets ?
FF : David Bowie. Quand j’ai appris son décès en janvier 2019, je ne suis pas sortie de mon lit pendant deux jours, trop déprimée. Je vous fais une confidence. À la naissance de mon fils Raphaël, j’ai ajouté in extremis Bowie comme deuxième prénom.
Je complète mon panthéon avec Oscar Wilde, découvert au collège. On étudiait sa pièce « L’importance d’être Constant » et notre professeure, Miss Boyle, a dit en passant qu’il était homosexuel. Grand silence. Toute la classe s’est tue. En 1981, en Irlande, c’était considéré comme un gros mot. Moi, j’ai été aussitôt captée et j’ai dévoré ses œuvres, des écrits qui ont participé à mon éveil littéraire. J’aime son audace. Depuis, il m’accompagne dans ma vie. C’est d’ailleurs en référence à cet écrivain et poète que j’ai appelé ma boîte de traduction et d’interprétariat www.wilde-english.com.
Autre figure aimée, Francis Bacon, le peintre d’origine irlandaise. Pour moi, c’est un peu un Jean Genet, qui peint l’essence de l’être humain, toutes ces choses qui nous forgent.
LNN : Une adresse dans le 9e ?
FF : Le bar de l’hôtel La Mondaine, 4 rue de Vintimille. Secret, beau, accueillant. Un voyage dans le temps.