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Rue de Maubeuge, un foyer de jeunes femmes accueille 90 résidentes de tous horizons à l’année. Solution d’hébergement temporaire à petit prix, l’endroit est animé par une équipe dynamique et à l’écoute. Deux conditions pour obtenir une chambre : avoir entre 18 et 25 ans et un contrat de travail. Une adresse au cœur du 9e que l’on se passe de bouche à oreille.

En ce mois de juillet, un petit groupe revient d’un séjour à Saint-Malo. « Il s’agit de lever les freins à un départ en vacances, car seules, certaines ne le ferait pas », glisse Pauline Ruche, responsable des animations collectives. C’est l’un des objectifs de cette parenthèse entièrement organisée par les résidentes : recherche de billets de trains, d’un hébergement et des activités sur place, toutes ont participé aux préparatifs.

À peine arrivée dans la cité corsaire, Gabrielle, Camerounaise de 25 ans, nostalgique des rivages lointains de son pays, a voulu voir la plage, le reflux des marées et le phare de très près.

Si ce n’est le vol d’un bagage à déplorer dans le train, les filles sont rentrées enchantées de l’escapade, des souvenirs salés plein la tête et le téléphone.

Partir des envies des résidentes

Collés sur un tableau, des bouts de papier : “aller au cinéma”, “partir en week-end à Londres”, “parler de santé sexuelle”… Dans le bureau de Pauline, ces petits mots griffonnés par les résidentes en début d’année feront peut-être l’objet d’une soirée, d’une sortie ou d’un atelier. « L’idée est de co-construire à partir de leurs envies », précise Pauline qui organise deux fois par semaine des moments de rencontres thématiques. Le moyen pour les plus isolées de créer du lien, pour les autres de participer à des activités enrichissantes.

Une petit groupe de résidentes sur les fortifications de Saint-Malo

Un week-end à Saint-Malo avec visites touristiques et parties de chars à voile.

Les résidentes lors d'un atelier Faire sa première déclaration d'impôts

Premiers pas dans le monde du travail.

Les résidentes du foyer Jeune Cordée dans le jardin en fin de journée

Barbecue dans le jardin pour la fête annuelle du foyer.

Petit brunch du week-end entre résidentes

Brunch du week-end entre résidentes.

Jeune Cordée, bien plus qu'un foyer

Pour Gabrielle, le séjour fut l’occasion d’apprendre à faire une valise « Je ne savais pas quoi prendre. J’avais besoin de conseils ».

La jeune femme a été acceptée au foyer en juillet 2022, après un parcours compliqué et le mot est faible. « À mon arrivée rue de Maubeuge, je n’avais rien avec moi. Pas de sac, seulement, une trousse de Médecins sans Frontières. Depuis, j’ai acheté un cuiseur et un congélateur », poursuit-elle, le sourire timide. En confiant son histoire, son visage, d’abord fermé, s’ouvre et s’illumine parfois. Gabrielle tente ici d’oublier le passé et de se reconstruire.

En voulant quitter son pays pour commencer des études de médecine en Ukraine (seule destination qui l’acceptait), Gabrielle a d’abord bravé le refus familial. Mais face à sa détermination, toute la famille s’est cotisée pour payer le voyage. Arrivée à Kiev, la jeune fille prend des cours de langue et vit de petits boulots. Fin février 2022, la guerre éclate, elle doit fuir. Elle est embarquée in extremis dans un convoi humanitaire.

Du parc Montsouris à la rue de Maubeuge

Ses premières nuits à Paris restent gravées. « Je me rappellerai toute ma vie le banc du parc Montsouris sur lequel j’ai dormi ». Isolée, sans ressources, son salut, elle le doit à un promeneur bienveillant qui lui donne rendez-vous à Médecins du Monde. D’autres associations, Halte Jeunes et Urgences Jeunes prendront le relais et l’accompagneront pour lui trouver une chambre d’hôtel, puis une place au foyer Jeune Cordée.

« Pour moi, le foyer, c’est ma maison, lance-t-elle. Ça m’a stabilisé, je n’ai plus à réfléchir : où est-ce que je vais dormir ce soir ? Je peux me concentrer sur mes démarches. » En attente d’un Visa étudiant, Gabrielle n’a pas perdu son temps. Elle a obtenu son diplôme universitaire Passerelle (pour les étudiants en exil) avec mention. « Avant, ma vie n’était que problèmes, je n’ai jamais rien reçu de bon. Aujourd’hui, cela me fait plaisir de voir que je peux faire quelque chose de bien. Ces résultats m’encouragent. »

Inscrite sur Parcoursup, elle est désormais admise en école d’infirmière. Seul hic, l’établissement est situé à Cholet (Maine-et-Loire). Gabrielle va devoir une nouvelle fois partir, quitter le foyer Jeune Cordée qui l’a si bien accueillie, régulariser ses papiers et trouver un nouveau nid. Dans trois ans, si tout va bien, elle obtiendra son Diplôme d’Etat d’infirmier.

Gabrielle, d'origine Camerounaise, résidente du foyer Jeune Cordée

Gabrielle est arrivée au foyer en juillet 2022, après un parcours compliqué.

Des chambres à 430 euros

Si certaines résidentes sont en parcours migratoire ou ont connu la violence, d’autres, aux trajectoires plus classiques, trouvent ici une solution d’hébergement économique pour une durée maximum de trois ans.

Pour les jeunes actives aux ressources limitées (salariées, apprenties, en recherche d’emploi, ou stagiaires rémunérées en fin d’études), le foyer représente une réelle opportunité. Pour une chambre de neuf mètres carrés, les résidentes déboursent en moyenne 430 € charges comprises par mois (hors APL).

C’est le cas de Justine, 24 ans, toulousaine, montée après ses études à Paris parce que « c’est là où ça se passe ». Costumière et habilleuse, elle travaille depuis quelques mois pour une troupe de théâtre. Ce lieu d’accueil, c’est son amie Mina qui lui en a soufflé l’adresse. «  À Paris, je ne connaissais personne et je ne me voyais pas partager un appartement avec des inconnus. Et être seule dans une chambre de bonne ne m’inspirait pas non plus. » Ici, elle a trouvé chaussure à son pied. « C’est un super bon plan, en plein cœur du 9e. Le loyer est très abordable ».

Lucie, jeune femme de 22 ans originaire de la région lyonnaise et au parcours similaire, y voit un autre avantage : « On n’a pas de propriétaire à gérer. C’est une charge mentale en moins ». Et de reprendre : « Avec les logements hors de prix à Paris, c’est très difficile de se loger même avec la garantie Visale de l’Etat qui n’est pas toujours acceptée. Pour moi, Jeune Cordée, c’est une aubaine. » Cette année, tout en étudiant à l’IFM (Institut Français de la Mode), Lucie a trouvé une alternance chez LVMH. « Je suis tailleur. Je réalise des prototypes et je couds les collections. » Un contrat qui lui permettra de renouveler sa troisième année au foyer.

Une chambre du foyer Jeune Cordée, avec un lit, un bureau, des rangements

Chaque résidente dispose d'une petite chambre bien agencée.

Justine, résidente au foyer Jeune Cordée

Justine, jeune toulousaine, est costumière et habilleuse.

Lucie, résidente au foyer Jeune Cordée

Lucie, originaire de Lyon, est en alternance chez LVMH.

Des espaces et des activités en commun

Au rez-de-chaussée, les espaces communs accessibles à toutes offrent de quoi s’aérer : salle de gym et de danse, bibliothèque, jardin vaste et verdoyant, tout participe au bien-être de chacune. Dans la grande salle baptisée “Bla bla room” ou dans des salons plus cosy, les échanges se font et des amitiés se nouent autour du piano. Une guitare adossée au mur attend sa prochaine musicienne.

Apéros de bienvenue, barbecue aux beaux jours, jeux, discussions en présence d’intervenants professionnels, sorties culturelles, les équipes du foyer ne ménagent pas leurs efforts pour créer du lien et faire vivre le lieu. Et tous les sujets sont traités sans tabou.

Une psy est disponible gratuitement chaque mercredi sur rendez-vous. La rencontrer  fut pour Gabrielle un vrai soulagement. La jeune femme a su mettre des mots sur ce qu’elle avait vécu pour enfin s’en affranchir et aller de l’avant.

Petit salon avec fauteuils pour se retrouver en petit groupe

Le petit salon pour se retrouver seule ou en petit groupe.

La Bibliothèque du foyer pour lire, emprunter et travailler dans le calme

La bibliothèque pour emprunter un livre ou travailler.

Le grand salon du foyer avec une cheminée

La "bla bla room", lieu de rencontres et de moments festifs.

« Bien sûr, tout n’est pas idyllique. Il faut partager les douches, les toilettes et la cuisine à chaque étage », admet Justine. De petits inconvénients de la vie en communauté qu’elle accepte bien volontiers au regard des avantages financiers qu’elle en tire.

Même si « le collectif, c’est toujours compliqué », comme le souligne Pauline, l’objectif est ici de se mélanger, d’échanger, de créer des liens. Chaque étage dispose d’une cuisine, avec placards personnels, son groupe WhatsApp pour improviser des dîners , s’échanger une fringue ou se prêter une bricole. « On est toutes voisines », résume Justine.

Lucie s’est mise à faire du théâtre d’improvisation « avec une fille qui a fait les cours Florent. » Elle ne raterait pour rien au monde le brunch du samedi ni les sorties Laser Game. Lorsqu’elle s’est installée ici il y a deux ans, son père et son frère, venus la visiter, ont pu coucher dans l’une des trois chambres d’amis prévues à cet effet. Un gros plus pour les familles qui arrivent de province.

Justine, elle, avait bien repéré le marché Saint-Pierre en arrivant sur Paris, sans savoir à l’époque qu’il était situé à quelques rues du foyer. Depuis, elle y multiplie les incursions, dénichant des coupons pour ses costumes. Récupérant des vêtements laissés par d’anciennes résidentes, elle les conserve précieusement pour des tournages à petits budgets. Sans relâche, elle pique du tissu sur sa machine à coudre qui prend toute la place sur son petit bureau, et partage ses connaissances lors d’ateliers couture qu’elle organise au sein du foyer.

Les résidentes lors d'un atelier couture

Une grande table, des coupons du marché Saint-Pierre. Justine organise des cours de couture.

Mais toutes n’ont pas la chance de bénéficier des conseils de Justine : celles qui ont un rythme de vie si effréné « nous avons des étudiantes qui travaillent de nuit pour payer leurs études, des salariés de la restauration en horaires décalés », indique Pauline qu’elles ne trouvent ni le temps ni l’énergie pour participer aux activités. La chambre est alors leur seul refuge.

Une non-mixité rassurante

Pour Lucie, la jeune lyonnaise, l’absence de garçons à Jeune Cordée fut un critère de choix rassurant et déterminant. « Je connaissais déjà le fonctionnement des foyers avec une première expérience en Normandie et j’ai cherché le même type de structure, mais cette fois en non mixte. » En effet, le foyer normand, hébergeant une majorité de garçons qui reluquaient les fille – « On était clairement de la chair fraîche » –, lui  a laissé un souvenir mitigé. Tandis qu’ « ici, on peut se balader dans les couloirs, tranquilles en pyjamas ou en nuisette. »

Quand ses camarades d’ateliers lui demandent où elle loge, elle déclare spontanément : « Dans un foyer pour filles, c’est comme le Crous mais pour les gens qui travaillent. » Une comparaison facile à comprendre. De son côté, Justine répond qu’elle habite dans une grosse colocation de 90 personnes. « J’ai 9 mètres carrés à moi et tout le reste en commun. »

Bien plus qu’un logement, Gabrielle, Justine, Lucie et toutes les autres ont trouvé au foyer un soutien et un tremplin pour envisager sereinement leur avenir professionnel.

Frédérique Chapuis

Portrait de Marie Thérèse de Soubiran

L’origine du Foyer – Du religieux au laïque

À partir de 1860, pour faire face à l’exode rural et à l’essor de l’industrialisation dans les grandes villes, la religieuse Marie-Thérèse de Soubiran, fondatrice de la Congrégation des Sœurs de Marie Auxiliatrice, ouvre plusieurs maisons de famille destinées à accueillir les jeunes filles ouvrières arrivant des campagnes.

« Soutenir les jeunes filles de l’âge de quatorze ans à vingt-cinq ans environ. Très spécialement cette partie de la jeunesse qui, sans famille, réside dans les grandes villes, fréquente l’atelier et les fabriques. Ce but étant un besoin de nos sociétés modernes qui centralisent tout et remplacent les familles chrétiennes par des masses d’individus ». Ainsi s’exprime à l’époque la religieuse.

Une première maison de famille est inaugurée en 1872 à Paris, rue de la Tour d’Auvergne. Deux ans plus tard, elle est déplacée au 25 rue de Maubeuge, emplacement de l’actuel Foyer de Jeunes Travailleuses. Devenu en 1962 l’association Jeune Cordée, le lieu perd son statut confessionnel pour devenir laïque en 2003.
Le bâtiment, qui accueille toujours les Sœurs, propriétaires des lieux (ce qui explique la non-mixité), a connu plusieurs transformations. Le foyer a été entièrement reconstruit en 1988, permettant de passer de 70 à 90 chambres. Trois studios, situés au 27, complètent l’offre de logement.

À l’intérieur, une très belle chapelle rappelle l’histoire du lieu. En 1998, une ancienne résidente est élue pour la première fois au Conseil d’Administration. L’association vit de subventions publiques (CAF, Ville de Paris…) et de la générosité de ses donateurs, dont d’anciennes résidentes.

FJT Jeune Cordée, 25 rue de Maubeuge, Paris 9.
Tél : 01 53 20 08 20.