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Peut-être avez-vous déjà marché sur une plaque de gaz colorée, du côté du square Montholon ou de la rue Fontaine. Mélanie qui se cache derrière le compte Instagram @lestrottoirs, armée de feutres acryliques, égaie notre quotidien par petites touches pleines de poésie.

Il lui faut une trentaine de minutes pour intervenir. Mélanie, assise à même le sol sur un sac en plastique, sort un feutre vert lagon de son petit sac et commence méthodiquement à colorier une plaque de gaz du trottoir en surplomb du square Montholon. Les motifs géométriques guident et inspirent la jeune femme qui scrute le ciel. « La pluie est mon ennemie. Si la plaque n’est pas totalement sèche, la couleur se dilue. En cas d’averse, il faudra tout refaire », explique-t-elle.

Le geste est précis et rapide. Progressivement, la plaque d’égout que l’on avait à peine remarquée apparaît sous un nouveau jour. Mélanie nous invite à décaler notre regard et à scruter où nous mettons les pieds. Car à bien y regarder, les trottoirs, à vocation purement utilitaire, fourmillent de détails : plaques de gaz, d’égouts, d’eaux usées, grilles, messages… « Le trottoir est un élément ordinaire du milieu urbain, méprisé et ignoré regrette Mélanie. À mon petit niveau, je lui redonne de la valeur. » 

Ces plaques au format rond – quelques-unes, plus rarement, affichent une forme carrée, encore appelées « regards de chaussée » sont apparues dans les villes au 19e siècle avec l’arrivée des conduites de gaz et du réseau moderne d’égouts.
Lourdes, une cinquantaine de kilos chacune, elles intègrent de nombreux motifs et inscriptions : le nom de la fonderie, Vhm, Cahors ou encore PCh à Paris, leur année de fabrication ou la norme à laquelle elles répondent.

Pour Mélanie, elles représentent un terrain de jeu inépuisable et la jeune femme a même été invitée par l’usine sidérurgique Saint-Gobain de Pont-à-Mousson pour réaliser une peinture au sein du show-room à ciel ouvert. Une belle reconnaissance et « un chouette moment de partage. »

Mélanie @lestrottoirs en train d'intervenir sur une plaque de gaz

@lestrottoirs, rue du square Montholon

Un dialogue s’engage

Une passante l’interpelle gentiment. « Ah tiens c’est vous. Je vous suis sur Instagram. J’aime bien ce que vous faites. »
Mélanie hoche la tête et confie « Mes craintes du début ont vite disparu. Les réactions sont très positives. Les personnes âgées prennent le temps de s’arrêter et engagent la discussion. Les enfants, très curieux, me posent des questions. » Enthousiastes, les passants apprécient. Soudain, ces derniers sont confrontés à ce qui passe d’ordinaire inaperçu.

Seul cas un peu délicat à gérer, celui d’une mère de famille du square Montholon qui l’interpelle violemment il y a quelques mois. « Elle me parlait de saccage et de dégradations. Que ses impôts allaient payer le nettoyage se remémore-t-elle. J’avais beau la rassurer et lui expliquer que la peinture acrylique part à l’eau, rien n’y a fait. »
Une altercation qui ne décourage pas Mélanie, dont l’intérêt pour les plaques de fonte est peut-être lié à celui de son arrière-grand-père, qui possédait une fonderie.

@lestrottoirs en train d'intervenir sur une plaque de gaz
@lestrottoirs en train d'intervenir sur une plaque de gaz
@lestrottoirs en train d'intervenir sur une plaque de gaz

Un sac en plastique pour poser son popotin, de la peinture acrylique, de la patience et l'envie d'embellir la ville - ©lenouveauneuf

Remettre de la gaité

Cette journaliste s’est lancée en 2020 après le premier confinement. Celle qui traque depuis 2016 des messages, signes et autres dessins sur les trottoirs est passée de l’autre côté : celui des street-artistes qui investissent les rues de nos villes, ajoutant un peu de beauté et de poésie au sein d’un environnement gris et anonyme.

« Dans le cadre de mon métier, j’avais interviewé plusieurs d’entre eux dont le travail m’intéressait. » Et de citer spontanément quelques noms admirés : les collages de Jaëraymie, la faune urbaine d’Ardif,  la démarche du lyonnais Ememem qui répare trous de trottoirs et brèches de murs à l’aide de mosaïque ou encore les lignes entremêlées tracées à la craie ou au pinceau de Jordane Saget.

Elle y a découvert une autre vertu : « Dès que j’ai deux heures devant moi, je fonce. C’est un moment précieux où je ne pense à rien. Je me lave la tête. » La timide a réussi à dompter son trait de caractère et décidé de se confronter aux autres avec confiance.

Une photo pour immortaliser la création éphémère

Une fois la plaque de gaz parée de mille feux, Mélanie la signe, puis la prend en photo pour la poster sur les réseaux sociaux, se positionnant pour intégrer dans l’image le bout de ses chaussures, « C’est vrai que je possède une belle collection de chaussures mais je fais très attention à mes affaires et je les garde longtemps », avoue-t-elle.
Son compte Instagram est désormais suivi par plusieurs milliers d’aficionados. « Je ne pensais pas en arriver là », glisse-t-elle, surprise de sa notoriété.

Depuis, elle participe à plusieurs Festivals d’Art urbain comme Roads à Orléans et développe des ateliers à destination des scolaires. Une commune bretonne lui a proposé de participer à un parcours touristique. À Royan, elle a mené un atelier avec des ados. « Au début, ces derniers avaient des réticences à s’asseoir dans la rue, de peur de rencontrer des connaissances » lance la street-artiste. Craignant d’être assimilés à des SDF,  ils ont réussi à dépasser leurs préjugés et se sont lancés sur le macadam de leur ville.

Des précurseurs

Les interventions surprennent, transmettent une émotion ou déclenchent un simple sourire… Et Mélanie de se dépêcher d’ajouter « Je n’ai rien inventé. »
Elle s’est notamment inspirée du travail de l’artiste vénézuélien Flix Robotico, lequel détourne des éléments du mobilier urbain (panneaux de signalisation, plaques de trottoirs, murs, abrisbus… ) en y laissant sa marque, une débauche de couleurs et de formes géométriques aztèques.

Plus ancien encore, Pierre Alechinsky, né en 1927, membre fondateur du groupe Cobra, exécute à partir de 1985, des gravures intégrant des empreintes de bouches, grilles et plaques d’égouts. Le peintre-plasticien leur ajoute un nouveau contexte et réinvente ainsi ces fragments de ville.
Interrogé sur sa démarche en 2002 par Le Parisien, il expliquait : « C’est un art anonyme. On ne les regarde pas car on marche dessus, mais elles ont des formes très belles. Les villes avaient des plaques avec leur nom dessus. C’est plein de poésie. Aujourd’hui, elles s’appellent toutes PAM, Pont-à-Mousson. »

Désormais, Mélanie prend en quelque sorte la relève. Alors en sortant de chez vous, ouvrez l’œil, vous trouverez enfin du charme aux trottoirs et pavés parisiens.

Frédérique Chapuis

@lestrottoirs en train de prendre une photo de la plaque de gaz colorée

©lenouveauneuf - @lestrottoirs

prise de photo de la plaque de gaz colorée par @lestrottoirs

©lenouveauneuf

Plaque de gaz colorée, fonderie VHM.

©lenouveauneuf

Plaque de gaz colorée par @lestrottoirs, rue Fontaine

Plaque visible rue Fontaine - @lestrottoirs

Suivre Mélanie sur son compte @lestrottoirs