Dans son atelier du 54 rue Lamartine, Edgar Stoëbel (1909 - 2001) va explorer tous les courants et techniques artistiques de son époque. Plusieurs de ses peintures sont à voir à la bibliothèque Louise Walser-Gaillard, rue Chaptal dans le 9e.
Auteur et compositeur, cet homme caméléon gardera toujours la peinture comme fil conducteur. « J’avais un besoin formidable de créer. En permanence les images se bousculaient dans mon esprit, il fallait que je les couche sur le papier » expliquait cet insatiable curieux.
Ses œuvres emblématiques, qu’il nommait « Figurasynthèses », exposées au rez-de-chaussée de la bibliothèque, un langage propre qu’il invente dans les années 60, mettent en œuvre plusieurs thématiques représentatives de son univers : un entremêlement de figures féminines, d’animaux symboles, d’instruments de musique, d’objets et de compositions abstraites. « Un rêve fugitif » comme il l’exprimait.
Edgar Stoëbel, de son vrai nom René Ichoua Teboul, juif né à Oran, traverse la Méditerranée en 1931 pour s’établir à Paris dans le 9ème arrondissement afin d’y travailler la musique. Il apprend l’harmonie, le contrepoint, la fugue et le piano jusqu’à la déclaration de la guerre.
En 1942, avant l’occupation allemande de la zone libre, il embarque in extremis dans le dernier bateau pour l’Algérie. Mobilisé, il participe à la campagne d’Italie et le débarquement en Provence. Il réintègre son atelier après-guerre, crée les Éditions de musique Stoëbel tout en se consacrant à la peinture et au dessin.
Il travaille au 54 rue Lamartine et couche au dernier étage du 42, dans deux chambres de bonnes réunies.
Edgar Stoëbel, "Figurasynthèse à la guitare", huile sur toile.
Le soir au café, la journée à sa peinture
Accroché au couloir de la bibliothèque, on découvre un ensemble de tableaux figuratifs, une ode à Paris, sa ville d’adoption.
Promeneur, Edgar Stoëbel observe, croque paysages urbains et scènes de vie Montmartroises. La rue de l’Abreuvoir, la place Pigalle et de Clichy l’inspirent.
Ici, des œuvres aux couleurs vives et contrastées, libres et expressives ; là, des esquisses sur le vif, où transparaît l’atmosphère des cafés parisiens. Dès les années 50, l’artiste fréquente le Montparnasse de la Coupole, côtoie et se lie d’amitié avec Chagall, Zadkine, ou encore Picasso.
Se frottant aux différentes techniques, il travaille le dessin, l’aquarelle, l’huile, l’impression, l’estampage et la gravure. Sont ainsi réunies à l’étage de la bibliothèque, celui des livres pour enfants, des lithographies à pochoir dans un style naïf, aux figures géométriques et animales. Un univers à la fois doux, poétique et toujours joyeux.
Edgar Stoëbel appréciait la vie Montmartroise, ses rues et l'atmosphère de ses cafés.
Edgar Stoëbel, "Rue de L'Abreuvoir," paisible voie ancienne de Montmartre.
Une reconnaissance tardive
Jusque dans les années soixante-dix, Stoëbel va alterner ventes et expositions en galeries et lors de salons reconnus en France et à l’étranger.
À la fin des années 90, il emménage rue Richer dans un logement plus décent et ouvre le dernier chapitre d’une vie plus calme, entourée de ses œuvres. En quelques semaines, il recouvre de tableaux tous les murs de l’appartement. » Jusque dans la cuisine. C’était un appartement-musée » décrit Rachel sa fille.
Sa peinture prend un véritable essor au début des années 2000 sous l’impulsion de mécènes passionnés. Elle témoigne d’une quête spirituelle : franc-maçon, préoccupé par ses origines hébraïques, il a tenté d’accorder questionnement philosophique et art.
Auteur d’une symphonie « Campagne d’Italie », écrite pendant la bataille de Monte Cassino, il va continuer à la peaufiner plusieurs années.
Avant sa mort, le peintre et compositeur la dépose au Conservatoire du 9ème, afin qu’elle soit jouée, analysée. Longuement hospitalisé, il est malheureusement décédé sans avoir obtenu de suites.
Rachel Teboul, sa fille, en parle comme d’un gros pavé à exploiter.
Edgar Stoëbel, lithographie au pochoir.
Un héritage à faire vivre
Car Rachel, unique légataire, en parallèle de son métier, se consacre désormais à promouvoir l’œuvre du père :
« C’était un homme profondément humaniste et resté optimiste comme en témoigne sa peinture. Même s’il avait conservé quelques traumas nocturnes liés à la guerre. »
La jeune femme se revoit, enfant, à jouer dans la cour de l’atelier du 54 rue Lamartine, à regarder dessiner son père, « Un personnage après l’autre. Il pouvait y passer des heures. » Il l’emmène à Drouot scruter les salles de vente, jamais rassasié, échouant tous les deux au Mac Do du boulevard, elle avec son chausson aux pommes, lui, un feutre à la main. Si à l’époque ces visites régulières la barbent un peu, elle jette aujourd’hui un regard attendri sur ces « moments contemplatifs« .
Quant à l’atelier, on pouvait à peine s’y frayer un chemin : « L’endroit débordait de productions, de toiles, de dessins, de partitions qui s’amoncelaient de tout côté… »
Au décès du père en 2001, Rachel et sa mère réunissent précieusement toutes ses archives écrites et affaires personnelles, encore stockées, 23 ans après.
Edgar Stoëbel aura produit jusqu’à la fin de sa vie.
Son œuvre est à redécouvrir. Le travail d’un homme tout entier tourné vers l’art, qui rêvait de paix et d’harmonie dans un monde où la femme aurait le premier rôle.
Frédérique Chapuis.
Rachel Teboul, devant un autoportrait de son père, le peintre Edgar Stoëbel, période Paulo, surnom pris pour chanter au Pub Olympia dans les années 80.
Edgar Stoëbel, Formes organiques, tâches de couleur.
Edgar Stoëbel, "Compositions géométriques", huile sur panneau.
Abstraction colorée et foisonnante d'Edgar Stoëbel, au rayon Enfants de la bibliothèque.
Edgar Stoëbel, Fillette.
Lithographie au pochoir dans un style naïf. La colombe, symbole de paix, animal récurrent dans l'œuvre de Stoëbel.
Lithographies au pochoir installées au 1er étage de la bibliothèque Louise Walser-Gaillard.
Bibliothèque Louise Walser-Gaillard, 26 rue Chaptal, Paris 9.
Exposition « Edgar Stoëbel, une vie artistique dans le 9ème », du 7 novembre 2024 au 8 janvier 2025.
Visible aux horaires habituels d’ouverture de la bibliothèque.
Pour aller plus loin : à consulter le site consacré à Edgar Stoëbel
Se procurer la monographie « Stoëbel » (Éditions Cercle d’Art) de Lydia Harambourg.