L’atelier La Feuille d’Or, présent depuis 1988 rue de La Tour d’Auvergne, a trouvé un repreneur. Depuis septembre, Éloïse et Alexandre perpétuent l’activité de dorure sur cuir au service de professionnels et d’amateurs de la reliure. Découverte d’un métier artisanal de plus en plus rare.
Derrière la vitrine, l’homme, ceinturé d’un tablier, cheveux attachés pour ne pas gêner la vue, se penche sur un livre à la reliure de cuir rouge et verte. Au dos de l’ouvrage, avec des gestes précis, il vient délicatement apposer une feuille d’or qu’il va, à l’aide d’un fer, chauffé à 100 degrés, pousser sur le cuir. Une opération qui nécessite des années d’expérience et qu’il va patiemment réitérer afin de faire apparaître le titre en lettres dorées : Vie de Napoléon.
Alexandre Denoues n’a pas droit à l’erreur. Il faut savoir exercer la bonne pression, à la bonne durée et à la bonne température pour que la feuille d’or prenne correctement sur le cuir. Mais auparavant, il aura pris soin de tirer ses lignes et préparer son titrage afin que tout soit à la bonne place. « Lorsque l’on travaille sur un livre ancien qui n’est plus édité, déjà facturé 3000 € pour la reliure au client, on ne peut pas se tromper » fait remarquer Alexandre, qui avec sa femme Éloïse, a repris cet été La Feuille d’Or, ouvert trente-cinq ans plus tôt par Michel Vatonne et Pascale Thérond.
En 1988, ces derniers, tous deux sortis des ateliers de restauration de la BNF, montent leur atelier indépendant de dorure sur cuir et réalisent titres et décors de livres, excellent au pastiche d’ancien et s’autorisent quelques incursions sur des objets en cuir à personnaliser.
Un bel atelier lumineux, ouvert sur la rue, avec un espace pour recevoir la clientèle.
Une reprise à deux
Michel parti à la retraite, Pascale a continué de manipuler feuilles d’or et fers jusqu’à l’été 2023, accompagnée d’un salarié, avant de passer la main. Plus de trente ans d’activités, un savoir-faire reconnu de la dorure traditionnelle, soignée et courante, qui risque de disparaître sans relève. (La Chambre syndicale nationale de la reliure, brochure, dorure recense une vingtaine d’ateliers de dorure qui ont pignon sur rue, dans toute la France).
Pour Alexandre, prestataire depuis deux ans au sein de l’atelier, c’est une opportunité qu’il saisit. Une reprise qu’il ne fera pas seul. Il s’associe naturellement avec Éloïse qui mesure sa chance, « Pascale souhaitait transmettre et pas simplement arrêter et vendre pour gagner de l’argent. »
Les deux repreneurs se sont connus lors de leurs études de relieur/doreur à Lisieux en Normandie. Diplômes de CAP et BMA (Brevet des Métiers d’Art) en poche, chacun poursuit son chemin dans le monde de l’entreprise. Au bout de quelques années de salariat, l’ennui s’installe. « Juste mettre des initiales sur des objets de maroquinerie… j’avais envie de plus » lâche Alexandre qui reprendra contact avec La Feuille d’Or, lieu de son stage d’étude.
Alexandre et Éloïse, les deux repreneurs de l'atelier La Feuille d'Or.
Des ouvrages uniques, des micro-séries et des pièces de titre
Passent désormais entre leurs mains, reliures de cuir, de papier ou de toile. Des pièces uniques, quelquefois de véritables trésors du 17e ou 18e, et quelques micro-séries. Des ouvrages anciens, acquis par des bibliophiles collectionneurs, qui ont pour la plupart fait l’objet d’une restauration de la reliure souvent en mauvais état. À eux d’assurer le travail de raccords de dorure, « Si les lettres ont été posées manuellement de travers, on refait à l’identique » précise Éloïse.
Et puis, il y a les commandes de grande série passées par l’administration et les bibliothèques, toutes les pièces de titre qui aujourd’hui les font vivre.
Du sol au plafond, de grands présentoirs en bois accueillent une magnifique collection de fers traditionnels en bronze (plus de 2500 références) pour réaliser courbes, droites et motifs, parfaitement rangés par période, de l’invention de l’imprimerie au contemporain, correspondant chacune à des styles très précis. Alors quand vient l’heure de choisir le fer, un solide bagage en histoire de l’art s’avère plus que nécessaire. Rien de bien compliqué pour Éloïse et Alexandre qui ont suivi des études d’histoire de l’art avant de bifurquer pour un cursus plus manuel (doreur/relieur).
Car au delà des analyses de styles et de remise en contexte, « Ce sont finalement les outils et les machines qui me passionnent le plus » déclare la jeune femme. Un amour de l’artisanat qu’elle développe lors de son passage aux ateliers Babouot : « J’ai travaillé deux ans sur la dorure de la Pléiade. J’ai aimé la mécanique et ce frisson de ne pas avoir droit à l’erreur. »
Les lettres sont insérées une à une dans le composteur, à l’envers comme en imprimerie.
Une fois le composteur chauffé à la bonne température, Alexandre exerce une forte pression pour que l'or prenne sur le cuir.
De la feuilles d'or 24 carats, disponible en différentes teintes, du jaune citron au très doré.
Compta et factures
Le plus difficile ? jongler entre le travail qui nécessite un maximum de concentration, les visites de clients, répondre au téléphone puis se remettre dans sa bulle. Autre difficulté pour les jeunes repreneurs, la découverte des tâches administratives souvent chronophages, « dont la compta que l’on apprend pas à l’école » note Alexandre qui rappelle l’importance du calcul du prix juste, « pour que les relieurs, nos clients, puissent faire titrer leurs livres et pour que nous arrivions à nous dégager deux salaires. »
Les premiers mois d’activité se sont déroulés selon le prévisionnel. Les commandes pour les professionnels sont traitées en priorité dans des délais très courts, et dès qu’il y a un petit creux dans le planning, les ouvrages laissés par les amateurs sont alors pris en charge. Tout comme leurs prédécesseurs, ils réalisent à la demande des travaux de personnalisation. Dès septembre à l’ouverture, un voisin en a profité pour leur apporter une veste en cuir.
Quant à la possibilité de proposer des cours de dorure pour le grand public, c’est encore trop tôt : « peut-être plus tard pour des amateurs qui souhaitent perfectionner leur technique. C’est trop compliqué à gérer avec des débutants ou des enfants car les outils sont fragiles et les risques de brûlure bien présents » relève Éloïse qui a fort à faire avec sa soixantaine de pièces de titre à dorer ce lundi. Une journée fermée à la clientèle mais pendant laquelle les deux artisans ne chôment pas. Alexandre et Éloïse ne voient pas les heures passer, dans l’atelier qui leur ressemble.
Frédérique Chapuis
©Cédric Calandraud. Éloïse et Alexandre dans leur atelier.
La roulette permet de réaliser des décors à l'infini.
Une palette de décor parmi les 2500 fers que compte l'atelier.
©Cédric Calandraud. Film d'or sur une machine de marquage à chaud à plat.
La Feuille d’Or, 7 rue Louise-Émilie de La Tour d’Auvergne, Paris 9
Horaires : du mardi au vendredi, de 9h à 12h30 et de 14h à 18h.