Ingénieur pour satisfaire au désir paternel, Emmanuel Houzé est devenu acteur et metteur en scène de spectacles. Il propose des ateliers de lecture à voix haute, ouverts à tous, rue Fontaine. L'occasion d'une parole vécue dans les mots d'un autre.
Si a priori la physique quantique et les arts sont deux domaines bien séparés, certains chercheurs parviennent à les relier. Comme aime à le souligner Emmanuel Houzé « J’ai trouvé des liens entre l’abstraction des mathématiques et la musique », lui qui, devenu ingénieur, commence une thèse qu’il n’a n’a pas terminée, « le désir n’était pas assez fort ». Un moment charnière pour ce Lyonnais qui s’est retrouvé happé par le théâtre au cours de ses études.
Écoutant enfin ses envies, oubliant la raison et la carrière de chercheur qui l’attendait, il intègre alors l’Ensatt, l’école qui forme aux métiers techniques et artistiques du théâtre à Lyon. Il se découvre des aptitudes pour la mise en scène « J’avais développé des capacités de synthèse et d’abstraction qui me servaient dans mes spectacles ».
Théâtre et poésie
En 2000, il fonde sa compagnie de théâtre, tout en menant différentes activités de création, et de formation. Installé à Paris, dans le 9ème arrondissement depuis sept ans, il enseigne quelques années au sein de deux conservatoires, l’un dans les Hauts-de-Seine, l’autre en Seine-Saint-Denis, toujours avec ce besoin, cette envie de « mêler théâtre, poésie et musique.»
Parallèlement à ses mises en scène, il développe des spectacles dans des lieux où la scène est absente. Il a répondu à deux commandes pour les musées Zadkine et Bourdelle à Paris « Deux écrins, les ateliers de sculpture des artistes » pour lesquels il a imaginé un parcours musical ponctué de textes lus. Prochain projet pour Émmanuel, travailler sur une mise en scène déambulatoire inscrite au sein d’un paysage de Dordogne, ou comment faire émerger un spectacle à partir d’une nature préservée.
Emmanuel a mis en scène Coup de dé, un spectacle à partir de poèmes lus de Stéphane Mallarmé
TNP de Villeurbanne. Emmanuel lit des poèmes de Bertolt Brecht sur une musique de l’accordéoniste Frédéric Daverio.
Des ateliers ouverts à tous
Attaché à la transmission, Emmanuel propose depuis 2021 des ateliers hebdomadaires de lecture à voix haute pour amateurs, adultes et adolescents. « Il n’y a aucun prérequis particulier, certains viennent du théâtre, d’autres n’en n’ont jamais fait. » tient-il à dédramatiser.
Tous les profils sont les bienvenus dans son salon chaleureux de la rue Fontaine où un piano attend d’éventuels musiciens. Emmanuel anime de petits groupes dans lesquels chacun a le loisir de rencontrer un texte, de déployer sa sensibilité, son imaginaire, de glisser sa voix dans les mots d’un auteur, de les faire entendre grâce à des outils issus du théâtre. Les lecteurs sont amenés à travailler leur posture, l’intonation de la voix, leur concentration, le lien au spectateur, le champ émotionnel… « Tout part de la sensation, sorte de cuisine intime qui a une vraie réalité » souligne Emmanuel.
La rencontre avec un texte
« Dans la lecture à voix haute, le plus important c’est la rencontre d’un individu avec un texte, il n’y a pas de jeu de scène comme au théâtre » indique le comédien et metteur en scène qui, en début de séance, invite les participants à réaliser quelques exercices de respiration, à jouer avec les déséquilibres, les limites du corps, à laisser au vestiaire les tensions accumulées de la journée.
L’objectif : se sentir détendu tout en restant ancré dans le présent. « La question de la présence est essentielle dans l’art vivant » affirme Emmanuel qui encourage chacun à lire un extrait d’un texte choisi. Les lecteurs ont déjà travaillé sur des poésies d’Apollinaire, des sketches de Raymond Devos. De son côté, il a proposé les lettres de Kafka écrites à sa fiancée ou le début d’une pièce Serbe, méconnue mais très appréciée. « C’est assez plaisant de voir comment chacun découvre un texte et se l’approprie » note le professionnel de théâtre qui ne s’interdit aucun genre littéraire, récit, théâtre, poésie, extrait de roman…
”Nous ne sommes pas là pour déclamer des discours mais pour que la parole soit un peu plus vécue, ressentie, individualisée, même si on dit les mots d’un autre.
Emmanuel Houzé
Le travail de la langue
Emmanuel constate une demande actuelle pour travailler la langue, la parole, s’ouvrir à cet espace que l’on a peut-être oublié, trop collés à nos écrans, tout en éloignant sa pratique des concours d’éloquence à la mode : « Nous ne sommes pas là pour déclamer des discours mais pour que la parole soit un peu plus vécue, ressentie, individualisée même si on dit les mots d’un autre ».
Et si le texte lu fait ressurgir des émotions qui submergent le lecteur, Emmanuel évite de rentrer dans des choses trop personnelles, il n’est pas psy. « Mon travail n’est pas de gommer l’émotion qui fait partie de la vie mais d’essayer de voir comment elle peut s’inscrire dans l’instant sans qu’elle paralyse et arrête la lecture ».
Racine, Woolf et Lagarce au programme
Ce jeudi soir, deux fidèle lectrices, Édith et Francine arrivent à l’heure dite avec leur texte sous le bras, l’une avec Bérénice de Racine, l’autre avec un texte de Jean-Luc Lagarce. Édith se présente comme passionnée de théâtre qu’elle a déjà pratiqué par intermittence, « sous forme de troupe, on faisait des lectures dans des appartements, une mise en voix et en espace. »
Cette formatrice qui donne des cours magistraux se questionne sur l’adresse à l’autre. De son côté, Francine, curieuse, vient explorer, en espérant que cela l’entraînera à lire davantage. Chacune avec ses attentes, ses freins, se lance sous l’écoute attentive et les conseils d’Emmanuel « Sers-toi du lieu pour que l’on ressente mieux ce que tu lis. » Une forme de théâtre réduite à l’essentiel, sans partenaire pour donner la réplique, où le texte lu, non su par cœur, non joué, est le seul matériau pour transmettre une émotion au public, provoquer un questionnement, faire surgir une envie, un désir.
Édith et Francine, deux inconditionnelles des ateliers de lecture à voix haute
Une tradition perdue
Si chez nous, la pratique de la lecture à voix haute, que l’on retrouve dans les salons mondains au 19ème siècle, ou réservée aux veillées des anciens, s’est perdue, chez nos voisins, en Allemagne, aux États-Unis ou au Canada, cette tradition qui remonte à l’Agora grecque est restée vivace. Les clubs de lecture sont des occasions de déclamer ses textes favoris. Les librairies invitent les écrivains à partager des extraits de leurs livres.
En France, la lecture publique est à nouveau plébiscitée et chaque théâtre propose son programme. Il faut bien avouer que la lecture de textes choisis permet de remplir les salles sans dépenser en décor et costumes. Ce mouvement est en grande partie dû au comédien Fabrice Luchini qui multiplie avec succès ces « one-man-show littéraires » depuis 1986.
L’envie de créer du lien
Ce qui a décidé Emmanuel à se lancer, c’est bien la volonté de transmettre auprès d’un vaste public mais aussi participer à relier les habitants du quartier entre eux. Tous habitent à quelques rues et viennent à pied. « Ça plaît aussi car ce projet fait vivre le quartier » assure-t-il.
Si ces ateliers renforcent les liens, en contrepartie, ils relient Emmanuel à son environnement. Ce dernier reconnaît qu’il « pourrait facilement s’abstraire de la réalité en évoluant dans un monde qui a du charme mais qui est parfois déconnecté ».
Une lecture sur scène en juin
Le travail de l’année donnera lieu à une représentation sur scène en juin prochain. Comme l’année dernière au petit théâtre L’accord Parfait, rue Ramey (18ème), les participants auront la joie de lire sur scène et tenter d’accrocher le public.
Gageons que nos amateurs, cornaqués par Émmanuel, arriveront à relever le défi haut la main !
Frédérique Chapuis
Emmanuel Houzé/ Compagnie L’Improvisoire
Tel : 06 89 89 21 68. mail : theatre@improvisoire.fr
Atelier lecture : le jeudi de 19h à 20h30 – 1, rue Fontaine. Paris 9.