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Redécouverte dans les années soixante, la peinture de Gustave Moreau - avec ses audaces de coloriste, ses évocations troubles et mythologiques - a vu le jour au cœur de la nouvelle Athènes. Si vous ne connaissez pas le lieu et l’œuvre, courez-y !

Autoportrait à l'huile de Gustave Moreau

Gustave Moreau, Autoportrait à l'huile, 1850. Photo (C) RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda.

Au soir du 24 décembre 1862, le peintre Gustave Moreau (1826-1898), âgé de seulement 37 ans, a du vague à l’âme. Il pense à la mort et à ce qu’il va laisser derrière lui, à toutes ses compositions qu’il prend la peine de réunir. «Séparées, elles périssent ; prises ensemble, elles donnent un peu l’idée de ce que j’étais comme artiste et du milieu dans lequel je me plaisais à rêver », note-t-il, mélancolique, au bas d’un croquis.

Sa vie durant, le peintre symboliste n’a de cesse de poursuivre son grand dessein ; il collectionne objets rares et entrepose ses peintures dans la maison familiale de la rue de La Rochefoucauld.

Un homme seul et triste

Suite aux décès de sa mère et de son amie, amante et muse, Alexandrine Dureux, Gustave Moreau mûrit son projet : celui d’une maison-musée pour accueillir ses œuvres. Il entreprend dès lors de grands travaux avec l’aide de l’architecte Lafon. À cette occasion, le magnifique escalier à vis est installé. Les deuxième et troisième étages sont transformés en immenses ateliers conçus pour recevoir ses grands formats (La Mort de Moïse, Hésiode et les muses, Tyrtée chantant pendant le combat…). Sa fortune ne l’oblige pas à des ventes régulières et lui permet de conserver la plupart de ses oeuvres.

Un aménagement pour la postérité

Au fil du temps, le peintre vieillissant prépare sa sortie. Il classe, choisit, retouche ses dessins et peintures, rédige des notices explicatives de ses œuvres pour les futurs visiteurs. Il reprend et agrandit son allégorie de la jeunesse, Retour des Argonautes. Il aménage le mobilier autour de ses souvenirs et des proches disparus, sa mère Pauline, sa chère amie Alexandrine. Il y consacre ses dernières forces jusqu’à sa mort en 1898.

Dans son testament, il lègue à l’État sa maison et tout ce qu’elle contient.

Ses obsèques ont lieu à l’église de la Trinité ; ses anciens élèves aux Beaux-Arts, amis et admirateurs, parmi lesquels Edgar Degas, Odilon Redon, Puvis de Chavannes, lui adressent un ultime adieu.

Dans l’intimité d’un grand peintre

Au décès de Gustave Moreau, son ami et légataire universel le poète Henri Rupp s’emploie à faire l’inventaire et à positionner les œuvres selon les instructions de l’artiste, un travail titanesque de plusieurs années. Le legs est accepté par l’Etat sous la condition que Rupp cède une importante somme d’argent pour l’entretien du lieu, et en 1903 est inauguré le premier musée monographique de France (il sera suivi quelques mois plus tard par la Maison de Victor Hugo). Le peintre Georges Rouault, élève préféré de Moreau, en sera le premier conservateur.

Plus de 1300 oeuvres sont accrochés selon la mode du 19e siècle bord à bord du sol au plafond, sans souci chronologique ou thématique ; près de 5 000 dessins, visibles dans des présentoirs à volets pivotants, permettent de retracer la démarche créatrice du peintre… En pénétrant dans la maison-musée, le visiteur découvre non seulement, avec quasi 15 000 pièces sur quatre étages, l’étendue du travail du maître du symbolisme, mais aussi fait un bond magique dans le passé pour se retrouver au plus près de l’intimité du peintre.
Un étonnant voyage…

Frédérique Chapuis

Ils aiment le musée Gustave Moreau

Artistes, chanteurs, écrivains, ils ont été conquis par l’univers particulier se dégageant de la maison-atelier du peintre. Petit Verbatim.

André Breton, qui a habité de 1922 à 1966 le 42 rue Fontaine et dont une proche place (angle des rues de Douai et Fontaine) porte le nom, venait en voisin. Évoquant le musée, le pape du surréalisme confessait : « La découverte du musée Gustave Moreau quand j’avais 16 ans a conditionné pour toujours ma façon d’aimer. La beauté, l’amour, c’est là que j’en ai eu la révélation à travers quelques visages, quelques poses de femme […] J’ai toujours rêvé d’y entrer la nuit par effraction, avec une lanterne [pour] surprendre la fée au griffon dans l’ombre. »

Dalí
En avril 1970, le peintre surréaliste choisit le musée Gustave Moreau pour annoncer lors d’une conférence de presse la création de son musée, dans sa ville natale de Figueras. « Salvador Dalí se serait écrié en visitant les lieux : ”Mais c’est Papa !” » (Le JDD, 2015).

Valéry Giscard d’Estaing
Une fois installé à l’Élysée, VGE choisit d’afficher dans l’un de ses salons modernes une œuvre de Gustave Moreau, Orphée pleurant la perte d’Eurydice (huile sur toile, 173 x 128 cm), prêtée par le musée (L’Express, 1974).

Maurice Béjart
« À une époque, je sonnais à sept heures du soir chez le gardien du musée Gustave Moreau. C’est un de mes musées favoris. Il y a là l’œuvre d’un peintre et son univers. » (Paris Le Journal, 1995).

Antoine de Caunes
« Amateurs de bric-à-crac, c’est là votre paradis. Car, contrairement au dépouillement de l’atelier de Delacroix ou au doux ordonnancement de la maison de Monet, on tombe sur un crypto-bordel des plus enthousiasmants : trois cents tableaux, gravures, bibelots, vases et autres meubles réunis dans 54m2, c’est une caverne d’Ali Baba, mâtinée de loge de concierge des familles, et qui reposait là, depuis un siècle, dans l’ombre et la poussière. Un soupçon de lumière est enfin fait sur cet artiste mystérieux entre tous. » (7 à Paris, 1992).

Arielle Dombasle
« Mon préféré probablement, c’est le petit musée Gustave Moreau. L’inspiration absolue. » (La Parisienne, octobre 2015).

Catherine Ringer
La chanteuse réalise pour sa chanson Sourire d’automne un clip en partie tourné au musée Gustave Moreau en 2018 et diffusé en mars 2021.

Clara Luciani
« J’aime [ses] tableaux. J’apprécie aussi que tout y soit accroché sur les murs, qu’il y en ait partout, comme dans un atelier, ce que le lieu était, d’ailleurs. Et j’adore l’escalier. C’est ma pièce fantasmée… Enfermez-moi dedans et je pourrais écrire un disque. Si j’avais un jour une pièce comme ça pour créer et faire de la musique… Dans mes rêves bien sûr… » (Madame Figaro, 2019).

Frédéric Beigbeder
« À Paris, vive le musée Gustave Moreau, ancien atelier du peintre symboliste conservé intact depuis sa mort en 1898. Un lieu très étrange recouvert de scènes mythologiques et de femmes alanguies, qui donne l’agréable sensation de faire partie de la vie de l’artiste. » (Le Point de vue, 2014)

Grégoire Leprince-Ringuet
En 2017, il fait résonner son poème Orphée au Crépuscule au musée Gustave Moreau. « Le musée Gustave Moreau est une maison… elle a été celle du maître symboliste et, comme il l’a souhaité, elle est aujourd’hui celle de toute personne qui porte un cœur de poète (…) »

Musée Gustave Moreau, 14 rue de La Rochefoucauld, Paris 9.
Horaires : tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h

Frédérique Chapuis