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Mixant avec habileté atelier de torréfaction et coffee shop, La Compagnie du Café est un lieu prisé des habitués. Ici, pas de petit noir au comptoir, on déguste son expresso confortablement installé, tout en participant à un commerce du café plus durable et équitable.

Tous les mardis, le torréfacteur fait entendre son doux ronronnement. Installée dans le micro-atelier ouvert, la machine est belle. Une “Probat” allemande toute de noir et d’or vêtue. Ce matin-là, c’est Romain Fabry, le fondateur et gérant du lieu, qui est à la manœuvre.
Dans le ventre de la machine, huit kilos de grains verts en provenance d’Éthiopie, qui vont prendre au fil de la cuisson une belle couleur cuivrée. « Le système fonctionne au gaz sur le principe de la machine à laver avec un tambour qui tourne » explique Romain.

Mais la tâche est bien plus ardue qu’il n’y paraît. Grâce à un pilotage précis par logiciel, le torréfacteur peut jouer sur différents paramètres : intensité de la chaleur, circulation de l’air, vitesse du tambour. « On essaye de respecter des profils spécifiques pour chaque café afin de faire ressortir toute la richesse des arômes  » souligne l’homme de l’art. Dernière étape de la transformation du café, la torréfaction est un moment délicat qui peut sublimer ou réduire à néant tout le travail du producteur en amont.

Les grains de café encore verts sont chauffés dans le torréfacteur, une machine allemande qui fonctionne au gaz.

Fraîchement torréfié, le café de forêt d'Éthiopie exhale tous ses arômes, jusqu'à 800 différents contenus dans chaque grain.

Du picking (cueillette à la main), en passant par la phase de dépulpage et du séchage, le transport maritime, l’arrivée au Havre chargé dans des sacs de jute de 69 kilos, le café nécessite un temps long ; en moyenne six à sept mois avant la torréfaction à La Compagnie du Café.
Une fois mis en sachet, le café en grain ou moulu ira garnir les rayons du coffee shop, le site internet, ou partir en vélo-cargo chez les restaurateurs et les entreprises soucieuses de proposer un bon café à leurs clients et salariés.

Un café de qualité, des producteurs bien rémunérés

Sur un marché estimé à 100 milliards de dollars annuels, une poignée de multinationales et de grossistes (Nestlé, Kraft Foods, Lavazza…) règne en situation de quasi-monopole. En contrôlant 80% du café brut, les grandes firmes imposent leurs conditions qui vont bien souvent à l’encontre des intérêts des petits producteurs. Un constat amer qui incite certains professionnels à travailler autrement.

C’est le cas de La Compagnie du Café qui s’est lancée dès l’origine dans une démarche éco-responsable. « J’ai réalisé un travail de sélection important auprès des importateurs afin de torréfier et de proposer des cafés issus d’une agriculture raisonnée, certains sont bio, d’autres proviennent de coopératives engagées dans des programmes d’éducation ou de préservation de l’environnement » souligne Romain qui a noué de fortes relations avec Belco, un importateur et distributeur basé à Mérignac en Gironde, bien connu des artisans torréfacteurs.
Animée par la volonté de décarboner les transports, l’entreprise girondine s’est impliquée dans l’acheminement du café à la voile. « Nous soutenons également son label Women Coffee, rappelle Romain car si les femmes représentent 70% de la main-d’œuvre, elles ne sont que 20% à être propriétaires terriens. »
Autre cause qui anime l’entrepreneur, la préservation des cafés de forêts d’Éthiopie, berceau du café : « Ce sont des cafés avec des arômes extraordinaires, d’une grande richesse gustative du fait de la biodiversité des forêts d’altitude. »  En poussant à l’ombre d’arbres aux essences multiples, les caféiers s’imprègnent de leurs odeurs pour offrir une qualité supérieure en tasse.

Une démarche éco-responsable anime le torréfacteur : café issu de petits producteurs, labels bio, agriculture raisonnée, sachets réutilisables...

Pour les derniers kilomètres, nos cafés sont distribués à la force du mollet par une flotte de coursiers en vélo-cargo. Ce moyen de transport représente un léger surcoût que les entreprises sont désormais prêtes à payer.

Romain Fabry, responsable de La Compagnie du Café

Cette implication du torréfacteur pour minimiser l’impact de son activité sur l’environnement se retrouve en bout de chaîne. En proposant un emballage désormais sans plastique, réutilisable pour les sachets, à base de carton pour les gobelets jetables, l’entreprise est en phase avec les valeurs qu’elle promeut, une approche qu’elle n’hésite pas à valoriser auprès de ses clients.
« Pour les derniers kilomètres, nos cafés sont distribués à la force du mollet par une flotte de coursiers en vélo-cargo. Ce moyen de transport représente un léger surcoût que les entreprises sont désormais prêtes à payer » assure Romain.

Attentives au bien-être de leurs salariés, la pause-café étant l’un des moments sacrés de la journée, les entreprises n’hésitent plus à investir dans des machines durables capables de restituer toute la magie d’un bon café en grain ou fraîchement moulu. « Il y a une vraie demande souligne le chef d’entreprise qui estime qu’économiquement, il est plus intéressant d’acheter du bon café et une bonne machine – comptez 600 euros –  plutôt que de prendre un abonnement de capsules. Au bout d’un an, la machine est amortie. »
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que pour toute capsule achetée, l’utilisation de l’aluminium certes recyclable, les lignes de fabrication nécessaires pour la remplir et le marketing pour la vendre représentent pratiquement les trois quarts de son prix. La matière première, le café, n’entre que dans une part infime dans le coût total. Comment alors être certain de sa qualité  ?

Du café moulu à la minute, un papier filtre de qualité, une infusion lente avec le système de cafetière filtre Chemex pour un café doux et rond en bouche.

Une activité qui a du sens

On l’aura compris, c’est une toute autre approche qui a incité Romain, à prendre il y a quelques années un virage professionnel à 360°.
Difficile pour cet ancien avocat d’affaires de s’imaginer un jour torréfacteur même si l’homme a toujours eu des ambitions entrepreneuriales.
C’est un événement douloureux qui va précipiter son envie de bifurquer. Dans son dernière poste, une société de gestion d’actifs, le grand patron, « un gros bosseur » décède brutalement. Un choc pour l’équipe. Pour Romain, c’est aussi l’occasion d’une remise à plat.

À la faveur d’un voyage en Afrique, parti retrouver un ami, un ancien banquier travaillant pour une ONG, l’avocat découvre la production de café. Parcourant les plantations au Congo et au Cameroun, il se rend compte « qu’il existait un savoir-faire et des produits exceptionnels qui faisaient vivre des communautés ». Bingo ! le trentenaire a trouvé. « C’est un projet qui cochait toutes les cases : mon appétit pour les produits de la gastronomie, l’investissement dans un activité qui avait du sens, être mon propre patron et l’horizon d’apprentissage qui s’ouvrait était stimulant » résume Romain qui de retour en France, s’arrangeait avec son entreprise et lançait son activité en 2015.

C'est lors d'un voyage en Afrique que Romain, alors avocat d'affaires, découvre les plantations et les producteurs de café : un tournant dans sa vie professionnelle.

Des débuts plutôt rock'n roll

« Avec un importateur basé à Bordeaux, j’avais négocié l’achat de son café vert contre l’utilisation de sa machine de torréfaction » se souvient Romain un brin nostalgique. Lesté de valises de plus en plus lourdes, ce dernier repartait pour Paris, ensachait et démarchait les restaurants parisiens. Face à des commandes qui augmentaient régulièrement, l’apprenti torréfacteur  s’est retrouvé à réceptionner à son domicile des palettes entières de café. Le système D a ses limites et la quête d’un local va s’avérer indispensable.

En cherchant dans le 9e arrondissement, un endroit de Paris qu’il connaît bien, Romain trouve son lieu actuel, le restaurant « Les Coulisses Vintage » est alors en liquidation judiciaire. « J’ai tout de suite eu une vision assez claire de mon futur espace même si au départ je n’avais pas prévu de faire de la restauration admet-il mais le mix : atelier de torréfaction et coffee shop a fonctionné tout de suite. Cela donne une image de marque sympa à l’endroit et montre que notre café est vivant. »

La carte s’est donc étoffée. Cuisiniers, pâtissiers et baristas embauchés, les grands crus de café peuvent être accompagnés de pâtisseries maison (carrot-cake, cheese-cake et autres brownies).
Les petits déjeuners, le menu cantine et les brunchs du dimanche ont fait leur apparition.
Reste au cœur de l’activité, le café, un produit de consommation courante mais qui n’a rien à voir avec la piètre qualité du petit noir auquel les Français se sont habitués au bar du coin.
Comme dans d’autres secteurs (boulangerie, viticulteur, micro-brasserie…) Romain fait partie de cette nouvelle génération dont l’objectif est de monter en gamme, en maîtrisant le travail et le produit tout en apportant du conseil.

Une approche pragmatique

Ce beau succès et cette reconversion réussie doit à l’approche pragmatique de son auteur qui mesure son plaisir et sa chance : « Il faut faire ce que l’on aime et bien le faire. Quand il y a des galères et il y en a, on arrive à les surmonter si l’activité correspond à ses capacités et son savoir-faire. » Si Romain reconnaît que du projet fantasmé à la réalisation concrète, franchir le cap reste difficile, quand le projet prend forme, c’est en revanche grisant et très satisfaisant.
« Dans ce genre d’activité, il faut constamment trouver des solutions rapidement. J’aime mettre les mains dans le cambouis, réparer les choses » précise Romain.
Concrètement, cela passe par le choix de bons importateurs de café pour limiter les problèmes d’approvisionnement, savoir faire face à la casse de machines ou encore à l’absentéisme du personnel. « Lancer son activité commerciale, entreprendre, implique d’être dans l’opérationnel. Ce sont des choses à bien anticiper en amont assure Romainqui a rencontré des tas de personnes qui lassées de travailler dans les assurances se sont aventurées dans ce genre d’activité sans succès. » 
L’ancien avocat, lui, est heureux et savoure le plaisir de faire ce qu’il aime.
Avançant à son rythme, il veut rester indépendant. Ses projets ? Développer un ou deux points de vente « dans un autre quartier qui reprendrait les qualités de la rue mais ce n’est pas facile à trouver » estime le gérant.

Localisée dans le bas de la rue Notre-Dame-de-Lorette, La Compagnie du Café peut compter sur une clientèle de quartier fidèle et sur les nombreux touristes qui séjournent dans les hôtels de l’arrondissement. Certains clients viennent une fois par semaine renouveler leurs stocks de café quand les autres préfèrent déguster un pure origine sur place.
Les lieux où l’on boit le café se diversifient et la qualité du breuvage est au coeur de ce renouvellement. Preuve de cet engouement : le moulin à café fait un retour remarqué dans les foyers.

Frédérique Chapuis

La Compagnie du Café,
19 rue Notre-Dame-de-Lorette, Paris 9.
Horaires : lundi au vendredi : 8h00 à 19h00,
Samedi : 9h00 à 19h00, dimanche : 10h30 à 17h00