Au 14 de la rue Henner, une élégante vitrine interpelle le regard. Elle laisse voir une sélection des créations de Gabrielle Froidevaux, artisan maroquinier. Bracelets-manchettes, colliers qui se portent à même la peau, sacs pour toutes les occasions et accessoires en cuir. Entre modernité et tradition, le chic est là, discret, au cœur de la Nouvelle Athènes.
Gabrielle Froidevaux, sur le pas de porte de sa boutique-atelier rue Henner
Gabrielle Froidevaux a tout de suite accepté de rencontrer “Le nouveau Neuf”, de préférence tôt le matin, avant l’ouverture. Grande femme brune souriante, elle nous invite, autour d’un café, dans son espace chaleureux où la tradition se mêle à la modernité des couleurs : parquet ancien, mobilier en bois, murs verts et bleus, une large table de travail, et en mezzanine, des rouleaux de peausseries prêts à être travaillés. Gabrielle, si à son aise dans son tablier d’artisan, se destinait pourtant à un tout autre métier.
Le sac "Nouvelle Athènes" avec un cuir sublimé par la passementerie de la maison Verrier
Portefeuille simple et beau couleur marron glacé
L’alignement des planètes
En 2016, les conditions sont réunies pour que Gabrielle s’installe dans le 9ème. Elle visite l’ancien atelier d’un tapissier qui a cessé son activité. Le lieu dégage une atmosphère sereine, aux antipodes des grands magasins. Elle s’y sent bien. Ici, elle va pouvoir créer, fabriquer et rencontrer sa clientèle. Quatre ans plus tôt, Gabrielle avait fait l’acquisition de machines nécessaires à la maroquinerie : « Un matin, réveillée bien avant l’aube comme par instinct, j’ai cherché et trouvé l’annonce inespérée. Les machines d’un ancien artisan de chez Hermès étaient mises en vente par sa femme ». Une vraie rareté. « Quelquefois, on est guidé dans la vie », sourit Gabrielle, les yeux brillants de gratitude.
Les machines imposantes nécessitent de grands espaces et Gabrielle décide de s’établir en Normandie pour démarrer sa nouvelle vie de chef d’entreprise. Désormais, elle va créer, fabriquer et vendre sa production originale, 100 % française. Un an plus tard, grâce à la ville de Paris, elle aura l’opportunité de s’installer dans un atelier du 18ème arrondissement avant de s’établir rue Henner. Ici, Gabrielle Froidevaux est devenue son propre maître. En toute humilité, toujours à la recherche de la perfection, elle accueille ses clients et fabrique sa production. Les machines tournent, les bobines de fil courent sur le cuir, pour assembler avec précision les parties d’un puzzle élaboré en volumes. On vient y trouver un cadeau, une pièce qui nous ressemble. Gabrielle a besoin de rencontrer ses clients, de les écouter, les conseiller. Elle personnalise à l’aide d’infimes détails une pièce qui sera au final unique, presque du sur-mesure.
"La couleur, c’est la vie"
C’est une seconde nature pour elle et cette année, ce sera orange vif, vert printemps, ciel… de la couleur, pastel d’abord, puis de plus en plus vive pour accompagner la chaleur estivale. « La couleur c’est la vie » confie Gabrielle, elle-même vêtue d’une harmonie de vert ce matin-là. D’instinct, Gabrielle sait « sentir » les tendances et partage ce talent en adhérant à plusieurs associations : le Comité de la Couleur, les Ateliers d’Art de France, Artisans d’Avenir. Autant de lieux qui nourrissent la créatrice, tout comme les rues de Paris, les expositions, les rencontres…
Vitrine printanière avec sac cuir rouge et tissu Jacquard, bracelets manchettes en cuir de crocodile, autruche, galuchat et lézard.
Jamais seule dans son atelier
Gabrielle travaille avec une jeune apprentie en alternance. « À l’école, il faut coûte que coûte suivre le programme, parfois au pas de course. Ici, je prends le temps d’inculquer les gestes et j’incite à suivre sa propre voie » confie Gabrielle. Collage, filetage, préparation des pièces, assemblage, prototypage, il est nécessaire de ne pas brûler les étapes. « Cela peut être répétitif, technique, presque scientifique. Il faut faire preuve de maturité et de notions d’espace pour arriver à faire un sac à main ».
Le savoir-faire ne doit pas se perdre. Gabrielle tient, dit-elle, à le transmettre d’une façon extrêmement sérieuse, précise, minutieuse, et ajoute dans un élan de sincérité : « J’ai horreur du loisir créatif ! »
Un atavisme familial
Dans la famille Froidevaux, les arts appliqués sont une seconde nature depuis cinq générations. Son père, sa mère, sa sœur… tous exercent un métier artistique. « Cela a toujours été une évidence pour moi » souligne Gabrielle, pour qui toute autre profession aurait été incongrue.
Il lui restait néanmoins à trouver sa voie. Si sa grand-mère maternelle, couturière, est une source d’inspiration, la jeune femme, à l’issue de ses études à Olivier de Serres, se destine à l’architecture intérieure.
Un chemin inattendu
Début des années 90, la jeune diplômée cherche son premier emploi. L’un de ses amis a relevé une offre dans un journal. Il en est certain, ce poste est fait pour elle.
Gabrielle se rend à l’entretien, plus pour lui faire plaisir que par conviction. Et son dossier de décoration intérieure va séduire la maison Balmain. Embauchée pour un CDD d’un an, elle vit sa première expérience professionnelle avec bonheur. Loin de la réputation sulfureuse des maisons de couture, l’ambiance est pétillante et joyeuse. Gabrielle s’épanouit dans un milieu raffiné qui semble fait pour elle. Elle dessine bijoux, sacs à main, gants, chapeaux auxquelles s’ajoutent les arts de la table. Chaque saison voit naître de nouvelles collections où, comme par magie, le dessin prend vie dans un tourbillon incessant.
Un an plus tard, embauchée par Kenzo, elle est pour la première fois confrontée à la sélection des matières, en particulier le cuir, qu’elle découvre à cette époque. Gabrielle approfondit ses connaissances, développe ses compétences, ajoutant de nouvelles cordes à son arc à chaque nouvelle expérience. Chez Lanvin, le marketing, avec Albert Elbaz chez Guy Laroche, le suivi de la production en Italie. Devenue responsable du département des accessoires, Gabrielle Froidevaux a développé une prédilection affirmée pour le cuir qui va l’amener à opérer une mutation fondatrice.
Une nouvelle peau
En 2003, avec l’aide d’une amie prototypiste, Gabrielle présente sa première collection au salon « Première Classe ». Réservé aux professionnels du luxe du monde entier, cet événement est le Graal des créateurs d’accessoires de mode. Succès immédiat.
Mais conception et réalisation sont deux univers cloisonnés. Gabrielle décide alors de se former à la fabrication. À 40 ans, elle fait table rase de son passé professionnel, perfectionne sa connaissance du prototypage, apprend chaque étape de la fabrication. Elle va pour cela intégrer une école d’excellence, Grégoire-Ferrandi, section Maroquinerie, puis passer une année à Cholet, haut lieu de l’industrie traditionnelle du textile et de la mode. Elle se sent prête à devenir artisan-chef d’entreprise et à tout maîtriser, de la création à la communication.
L'artisan-maroquinier travaille avec des tanneries françaises à Espelette et à Thiers, les cuirs exotiques sont sourcés.
L’amour de la matière
Gabrielle fait confiance à des artisans tanneurs français, triés sur le volet, avec qui elle travaille depuis longtemps. Questionnée sur la tendance actuelle du cuir vegan et des alternatives proposées comme le Pinatex, un textile fabriqué à partir de feuilles d’ananas ou de fibres synthétiques, Gabrielle défend le travail de la peau : « Le cuir véritable vit et se patine, les matières vegan s’usent mais ne vieillissent pas, ne se réparent pas » puis ajoute, « elles sont enduites de silicone, un produit chimique, donc pas vraiment naturel ». Enfin, à des années-lumière de la fast fashion et ses dizaines de collections par an, Gabrielle produit en petite quantité, des articles durables et réparables.
Créatrice avant tout, Gabrielle exerce ses talents pour offrir à un prix qui reste abordable des pièces de qualité. Bien sûr, une visite dans cette vibrante boutique s’impose. En attendant, le site internet de Gabrielle est une source d’actualité et de poésie à découvrir. « Je recherche des formes pratiques qui s’adaptent au mouvement, y commente-t-elle, se font oublier pour embellir sans ostentation, laissant place à la beauté de la matière ».
Nathalie Gueirard Debernardi
GabriElle, artisan-maroquinier
14, rue Henner, Paris 9e.
Horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.