Depuis l’enfance, Nathalie Infante aime se raconter des histoires. Des récits qu’elle met en images et en mots. Au fil des années, l’illustratrice et éditrice a développé un univers emprunt de nostalgie, de poésie sans oublier une dose d’humour.
Par un après-midi pluvieux de décembre, Nathalie nous reçoit dans son atelier du sixième étage encombré. Elle s’excuse. En plein déménagement, le lieu sert aussi de stockage. La fenêtre qui donne sur les toits de Paris, battue par la pluie, sera notre unique source de lumière. EDF a malencontreusement coupé l’électricité. Le manteau restera sur les épaules.
Malgré des débuts peu engageants, gagnés par la gentillesse de notre interlocutrice, le courant passe et l’échange a lieu.
Nathalie Infante dans son atelier sous les toits de Paris, rue Mayran
De ses origines espagnoles, elle a conservé son nom de famille et le souvenir d’un père cheminot pour qui il fallait un métier pour gagner sa vie. “ C’était très bien de savoir dessiner, on me disait bravo mais on me mettait en garde : si tu fais les Beaux-Arts, tu finiras à dessiner sur les trottoirs à la craie.”
Et ce n’est pas sa professeure d’arts plastiques qui va l’inciter dans cette voie. “ J’ai un vague souvenir de troisième. On ne comprenait pas ce que l’on faisait et la prof me notait mal. Elle ne m’a pas du tout encouragée ” rapporte celle qui très tôt a su mettre des mots sur les choses.
Pour preuve de cette précocité, enfant, Nathalie réalise un petit livre en deux exemplaires mêlant illustrations et textes. Son titre : La pomme qui voulait partir en voyage. D’échappées, il n’en est pas encore question. Au mitan des années 80, le bac en poche, la lycéenne intègre un DUT en informatique et se destine à une carrière d’ingénieur. “ Ce que j’aimais c’était résoudre des problèmes, la programmation ne m’intéressait pas. Me manquait le côté artistique. ”
Un premier voyage à New York lui ouvre les portes d’un possible. Conquise par l’énergie de la ville, elle se met à peindre à son retour les gratte-ciels immenses, Central Park, Broadway, les façades de boutiques…
Et si l’injonction paternelle plane toujours, la jeune fille gagne du temps. Elle s’inscrit en école d’ingénieur et se présente parallèlement à un concours pour intégrer une formation en communication audiovisuelle à Paris.
L’arrivée à Paris
La Lyonnaise quitte le domicile familial pour la capitale. “ J’ai découvert Paris. C’était un vrai sentiment de liberté, une des périodes les plus belles de ma vie ” lâche Nathalie. Un départ qui occasionne un vrai divorce avec le père incrédule. Depuis, les deux se sont réconciliés.
Hébergée par une camarade de Fac, la jeune fille suit un cursus en cinéma, photos, images “ très novateur à l’époque ”. En parallèle, elle donne des cours d’informatique du soir de la ville de Paris pour payer les factures. Nathalie se cherche, n’est pas vraiment pressée d’intégrer le “ monde du travail ”.
À l’issue de sa maîtrise, elle poursuivra avec une année d’histoire de l’art.
Du bulletin municipal à Euro-RSCG
Alors que la PAO (publication assistée par ordinateur) fait son entrée dans l’univers de la communication, Nathalie, à l’aise avec les nouveaux logiciels, va enchaîner plusieurs missions professionnelles, réalise des bulletins municipaux, toutes sortes de travaux imprimés. “ J’ai alors découvert et su maîtriser l’ensemble de la chaîne graphique ”.
Un bagage qui lui ouvre les portes de l’agence de publicité Euro RSCG. “ J’ai été embauchée en tant que directrice artistique ”, un poste qu’elle conserve une vingtaine d’années. “Le cadre était assez serré et il fallait composer avec les humeurs des clients” concède-t-elle mais sa curiosité naturelle va la protéger de l’ennui.
Adoptant par la suite le statut de freelance afin de gérer son temps comme elle l’entend, la jeune femme va réaliser quelques dessins pour la presse féminine mais les sujets abordés ne l’inspirent guère. Elle se souvient avoir apprécié sa collaboration avec Muséart, un mensuel pour lequel elle réalisait des cartes de villes et de pays illustrés de monuments et de lieux emblématiques.
Et si elle place la liberté de création au dessus de toute injonction, elle reste ouverte aux travaux de commande, à la condition que l’univers de la marque soit en adéquation avec le sien, associant élégance, rêverie et fantaisie comme celui d’un parfum.
Illustrations @NathalieInfante. Les toits de l'Opéra de Paris en hiver et en été. Les Grands Boulevards avec le cinéma Le Rex à l'architecture Art déco.
Une expo à l'hôtel de Ville
Grande marcheuse, amoureuse de Paris, l’illustratrice change régulièrement d’itinéraires à l’affût d’un détail passé inaperçu, d’une affiche, d’une couleur d’une devanture, autant d’éléments qui vont provoquer des sensations, des associations d’idées et nourrir son travail d’illustratrice.
Cette habitante qui a choisi le 9ème depuis plus de vingt ans a bien tenté d’exposer à la mairie de l’arrondissement mais ses demandes sont restées lettre morte. Encouragée par une amie, Nathalie Infante décide alors de transmettre son book à la mairie de Paris. Le retour sera immédiat et positif. À l’automne 2019, en l’espace de quelques semaines, l’illustratrice va déployer une énergie qu’elle ne soupçonnait pas pour préparer son exposition à l’Hôtel de Ville. Elle fait effectuer ses tirages d’art par le laboratoire Dahinden, édite cartes postales et autres magnets. Un travail qui la laisse sur les rotules mais dont elle retire une vraie satisfaction.
“ Cinq saisons à Paris ” est un hommage sous forme de promenade-dessinée à la ville qui l’a accueillie des années auparavant et dont elle explore les détails oubliés, les paysages renouvelés au fil des saisons, sa faune et sa flore inattendues. Clin d’œil au « Paris by night », la nuit apparaît comme la cinquième saison.
Une nouvelle exposition était prévue au Japon en 2020 mais comme beaucoup de projets, il a été stoppé net par le Covid.
Dessin sur tablette
Pour s’exprimer, Nathalie dessine à la tablette numérique “ pas plus grande qu’une feuille A4 ”, reliée à un écran d’ordinateur. Avec son stylet, elle choisit ses couleurs, les mélange, utilise des badigeons. Une technique qui autorise une extrême finesse du trait, un résultat impossible à atteindre à main levée.
L’illustratrice exécute peu de croquis sur place, prend surtout des photos, emmagasine des sensations. “ Je travaille à partir des souvenirs et des histoires que je me raconte, peut-être comme un romancier qui transforme le réel ” précise cette dernière, dont le compagnon est écrivain.
Illustrations @NathalieInfante. Palais Royal, le soir
Illustrations @NathalieInfante. Rue Chabanais - Le Sentier
Les éditions Marie-Louise
Le couple a travaillé à quatre mains sur plusieurs albums graphiques auto-édités, “ Rendez-vous à New York ”, “ À Paris ”, “ Royan ”, l’un écrivant les textes, l’autre les illustrant. “ J’ai commencé cette activité d’édition comme un jeu, précise Nathalie. J’envoyais mes projets de livres aux éditeurs et je recevais systématiquement des lettres de refus ”, courriers qu’elle a soigneusement conservés quelque part mais elle ne se souvient plus où.
Sans trop réfléchir, l’illustratrice décide de monter Les Éditions Marie-Louise et commence à démarcher les libraires. “ Je partais la fleur au fusil avec mon sac à dos bourré de livres ” résume-t-elle.
Nathalie va ainsi découvrir le milieu de l’édition Jeunesse, courir les salons et réaliser une commande pour l’éditeur Parigramme, une histoire de chats à Paris. Un album Jeunesse dans lequel on retrouve ses obsessions : les matous mais Nathalie est allergique aux poils de chat – la vie est mal faite – et les lieux de Paris qu’elle se plaît à réinterpréter.
Une présence absence
C’est comme si Nathalie avait intégré ce que le philosophe Jankélévitch appelle joliment une “ présence absence ” telle la mort qui nous hante mais n’est pas là, telle la musique qui se fait entendre sans nous parler. L’illustratrice croque une époque, une endroit peuplé de fantômes, que l’on peut presque toucher du doigt, mais qui appartient pourtant au passé.
Nathalie est nostalgique d’une histoire qu’elle n’a pas connue. Elle aime les vieilles enseignes rappelant le vieux Paris, citant d’emblée la parfumerie Detaille, rue Saint-Lazare. Elle puise également son inspiration dans l’imagerie des Fifties et Sixties “ Je suis attachée à faire revivre l’esthétique de cette époque, pour moi la quintessence de l’élégance et du glamour ”. Fan des films américains de ces années-là, la silhouette d’Audrey Hepburn n’est pas loin, ses personnages féminins cintrés dans des tailleurs chics portent chapeau.
De New York, elle croque L’Automat, cette cafétéria restaurant sur la 42ème rue, où l’on déjeunait d’un sandwich et d’un café en mettant quelques dollars dans un distributeur automatique. L’enseigne que Nathalie a connue, disparaîtra au tournant des années 90.
La devanture du Palace, la vitrine d'une parfumerie parisienne, un passage parisien du 9e, autant de lieux réinterprétés où transpirent encore les fantômes du passé.
Ses illustrateurs vénérés
Nathalie est une inconditionnelle de Pierre Le-Tan, décédé en 2019. “ C’est mon idole. Il a fait beaucoup d’illustrations de Paris dans une ambiance un peu fantomatique.” L’homme a d’ailleurs travaillé avec Patrick Modiano dont il partageait la nostalgie, l’intérêt pour les lieux abandonnés et les personnages troubles.
Il savait traduire l’idée de l’absence dans une belle palette de pastels.
Autre admiration pour l’illustrateur jeunesse Olivier Tallec et de citer Yann Kebbi “ pour sa liberté de trait. C’est presque du Duffy ” s’exclame-t-elle. Nathalie pour qui la peinture de Duffy, “ et bien sûr celle de Matisse ”, sont les deux mètres étalon de son panthéon personnel.
Ateliers et rencontres
Avec sa casquette d’auteur, d’illustratrice, mais également d’éditrice, Nathalie se déplace dans les écoles, médiathèques et musées, pour un temps d’échange avec le jeune public. Des moments très intenses. “ J’en ressors épuisée mais avec une joie de vivre. L’énergie des enfants est communicative. ”
Après les questions, Nathalie détaille les ébauches successives de création et de fabrication d’un livre et, lorsque le temps imparti le permet, elle initie des ateliers d’expression écrite et/ou d’illustration.
Des moments privilégiés qui sont aussi et tout simplement l’occasion de rendre le livre vivant pour les jeunes lecteurs. “ Ils m’encouragent. Quelquefois, ils n’aiment pas mes dessins et me le disent ” mais surtout elle essaye d’insuffler aux enfants, qui naturellement aiment dessiner, gribouiller, cette notion de liberté à laquelle elle est très attachée. “ Il n’y a pas qu’une seule manière de dessiner ” leur répète-t-elle à l’envi.
Illustrations @NathalieInfante - Les colonnes de Buren - Place Blanche
Pour en savoir plus sur le travail de Nathalie Infante
Son site Internet Nathalie Infante
Les éditions Marie-Louise
Frédérique Chapuis
Les bonnes adresses du 9ème de Nathalie Infante
La maison de parfumerie Detaille, 10 rue Saint-Lazare. “ C’est un petit plaisir que je me fais de temps en temps. Rien que la boutique, typique du Paris de la Belle Époque, vaut le détour. ”
Le Mansart, 1 rue Mansart, un bar-brasserie comme on aime. “ On y déjeune bien pour pas très cher. ” Rare dans le quartier.
Le Mastroquet, 3 rue Riboutté. “ Un autre bistro très sympa et très bon, avec une cuisine faite maison. ”
La pâtisserie Aurore Capucine, 3 rue de Rochechouart. “ Pour l’ambiance désuète et l’originalité des gâteaux. ”
L’ébéniste d’art, Hervé Blondeau, 10 rue Mayran.
L’atelier Demi-Teinte, 8 rue Mayran. Laboratoire et galerie photos avec vente de tirages et encadrement.