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Des sinistrés de la rue de Trévise ont regagné leur logement près de six ans après l'explosion meurtrière au gaz qui avait dévasté leur immeuble. Parmi eux, Vanessa Mallet et Dominique Paris que nous retrouvons dans un café, juste après la cérémonie d'hommage rendue chaque janvier aux victimes.

Dominique et Vanessa ne se connaissaient pas. Le drame de la rue de Trévise puis  leur parcours commun, scella leur amitié. « On ressent la même chose » tente d’expliquer Vanessa qui a regagné avec sa famille son appartement du 6 rue de Trévise en novembre dernier, près de six ans après l’explosion au gaz qui ravageait son immeuble et endeuillait tout un quartier, un samedi matin de janvier 2019.

Un retour émotionnellement chargé

La décision n’allait pas de soi. Elle fut in fine emportée par les enfants, qui exprimaient la volonté de rentrer chez eux. Aujourd’hui, ces derniers oscillent entre l’envie d’effacer ce moment douloureux et son acceptation. Cette histoire fait désormais partie de leur vie.

Après des années à vivre dans les cartons, enchaînant jusqu’à six déménagements, Vanessa s’est sentie soulagée. Elle pouvait enfin se poser, assurer une stabilité aux siens. Mais parfois, dans son salon ou sa cuisine, un sentiment d’angoisse diffus l’étreint. Elle le ressent, d’abord surprise, puis l’accueille. Elle en connaît l’origine. Elle sait d’où il vient.

Dominique, elle aussi indécise quant à l’idée de regagner son domicile, a fini par accepter. C’est son mari qui fut moteur, malgré sa maladie altérant ses capacités temporelles et spatiales. « Nous sommes rentrés depuis deux nuits et c’est incroyable comme mon mari revit » se réjouit-elle.
Le couple, heureux de retrouver son mobilier stocké tout ce temps en garde-meuble, espère reprendre le cours de son existence, entouré de voisins devenus des proches, dans un quartier qui se remet à vivre.

Dominique Paris et Vanessa Mallet, rescapés et sinistrés de l'explosion de la rue de Trévise

Dominique Paris et Vanessa Mallet ont retrouvé leur appartement, six ans après l'explosion. Un retour mêlé de sentiments contradictoires.

Une vision de guerre

Au moment du drame, peu avant 9h, la famille de Vanessa réveillée par l’explosion, découvre une scène de guerre : des voitures pulvérisées, des décombres jonchant le sol, des fenêtres soufflées, des gens qui hurlent, un incendie qui se déclare et bientôt le bruit des sirènes de pompiers.
Réfugiée sur son balcon au 5e étage, Vanessa attendra 1h30 entourée de ses deux enfants et d’une amie de sa fille. La cage d’escaliers a disparu ainsi que trois étages sous eux, il est donc impossible de s’échapper. « On était prisonniers du feu. On doit la vie à un pompier qui nous a fait passer de notre balcon à l’immeuble mitoyen », souffle Vanessa, les yeux brillants.

Pendant de longues minutes à attendre les secours, la mère de famille tente de rassurer les enfants comme elle peut : « J’étais dans le déni pour ne pas m’effondrer. Je leur disais, ne vous inquiétez pas, allez manger du chocolat. » Après coup, elle comprend qu’elle était à deux doigts de la folie. « J’en étais même flippante pour les enfants alors âgés de 10 et 11 ans » admet-elle.

Photo prise du balcon du 5ème étage su rla rue de Trévise après l'explosion, avec des voitures calcinées, l'hôtel en face n'a plus ni porte ni fenêtres.

La déflagration au gaz a laissé la rue en champ de ruines. En face, les chambres de l'hôtel ont été soufflées. C'est dans l'une d'entre elles que Laura, touriste espagnole en voyage avec son mari Luis Miguel, a perdu la vie. Photo : Vanessa Mallet.

Les déménageurs mettent en carton les affaires de Vanessa

Parce que la photographe Julie Ansiau avait habité l’immeuble, certains habitants qui la connaissaient l’ont autorisée à photographier leurs appartements juste avant qu’ils n’en sortent leurs affaires. Les déménageurs chez Vanessa Mallet. ©JULIE ANSIAU

Des visites accordées au compte-gouttes

Lors de cette matinée effroyable, Dominique a la présence d’esprit d’attraper son sac et son téléphone portable. Vanessa et ses enfants, pris en charge par les pompiers, sortent de chez eux les mains vides.
Il leur faudra patienter plusieurs semaines, avant d’être autorisés à pénétrer dans les logements et récupérer quelques affaires. De courtes visites très éprouvantes encadrées par des policiers.
Dominique s’y était préparée. Liste en main, elle n’a que trente minutes. Mais quand elle pousse la porte et découvre les deux baguettes de pain achetées la veille de l’explosion encore posées sur la table, c’est un choc.
Elle fait aussitôt le vide dans sa tête et court d’un tiroir à l’autre, prend papiers, clef de voiture et vêtements. Elle y retourne avec un ami pour récupérer son serveur informatique, vider le frigo, le congélateur…

Vanessa trop choquée par les événements, envoie un proche à sa place. Lorsqu’elle revient pour la première fois sur les lieux, la sidération la cloue au plancher. Incapable de réfléchir et de faire les bons choix, elle attrape les choses comme elles viennent.

En décembre 2020, une année entière a passé. Les sinistrés, empêtrés dans d’interminables batailles d’experts, sont tous découragés. Les appartements sont dans des états effroyables car les fenêtres sont restées non sécurisées pendant de longues semaines, en plein hiver.
Dominique dans la cour de son immeuble dévastée par l'explosion

En décembre 2021, Dominique Paris pose dans la cour de son immeuble, au milieu des étais et d'un morceau de la fresque d'Arthur Simony. ©JULIEANSIAU

Vanessa assise devant l'entrée consolidée de l'immeuble du 6 rue de Trévise

Vanessa Mallet devant son immeuble, deux ans après l'explosion. Décembre 2021. ©JULIEANSIAU

Vanessa lors d'une visite dans son appartement saccagé par l'explosion

Visite éprouvante pour les sinistrés. Ici, Vanessa Mallet, le 4 décembre 2020, dans la chambre de sa fille. ©JULIEANSIAU

Des assureurs "inhumains"

Engagés dans un long combat face aux assureurs, les sinistrés ont rassemblé leur force au sein de l’association « Trévise-Ensemble », présidée par Dominique, infatigable porte-parole.
Interrogée, Vanessa dénonce l’horreur administrative qui les a occupés toutes ces années, et « qui relève du supplice. »
Incapable de reprendre son poste de directrice commerciale dans la publicité, « J’ai fait un rejet de tout ce qui était administratif, des tableaux Excel à remplir… », elle passe son CAP de céramiste et partage désormais son activité entre la Bretagne où elle produit et Mairie de Clichy où elle donne des cours.

Dominique, elle, a « sombré dans l’hyper-activité. » Dès le lendemain de la tragédie, hébergée chez sa sœur, elle épluche ses mails, tente de reconstituer ses dossiers professionnels. Cette consultante RH pour de grandes groupes internationaux répond dans la foulée à une mission et plonge tête baissée dans le travail. « En tant qu’indépendant, vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas vous arrêter. »
Les experts mandatés pour reconnaître son préjudice professionnel lui reprocheront d’avoir attendu dix-huit mois pour consulter un psy. Depuis quelque temps, Dominique a ralenti le rythme pour se consacrer à son mari malade.

Leur revient à toutes deux en mémoire des rendez-vous affligeants : comment apporter la preuve que votre porte d’entrée voilée par l’explosion et qui ne ferme plus, fonctionnait bien avant ? Pourquoi faut-il se battre pour se faire indemniser d’un cambriolage, lorsque vous n’avez plus de porte ni fenêtres, et qu’il n’y a donc pas eu effraction ? Des situations kafkaïennes, ubuesques, les mots manquent pour décrire ce qu’ont vécu ces familles brutalement arrachées à leur quotidien et continuellement obligées de se justifier face aux assurances.

Des blessures invisibles

Les premiers mois passés, le déni aide à tenir résume Vanessa : « On se dit qu’on est pas mort, pas blessé. Que ce n’est que du matériel et du financier. » Une auto-persuasion qui ne pèse pas lourd face aux dégâts psychologiques, ces blessures invisibles systématiquement sous-estimées par les experts.
La jeune femme se souvient d’une journée où totalement déboussolée, elle est obligée de taper Google maps sur son téléphone pour retrouver son chemin dans son quartier : « Je me suis alors rendue compte que ça n’allait pas du tout et que j’avais eu peur de mourir. »
Dominique abonde : « On pense qu’on est pas si atteint que ça. On cherche à minimiser mais quand je vois un camion de pompier, je fais demi-tour. »

Vanessa se dit changée à tout jamais. Malgré tout, du positif émerge du chaos. « Avant, j’avais assez peur de ce qui pouvait arriver. Maintenant j’ai confiance, notamment en la bonté humaine. » C’est d’ailleurs ce qui les a tous sauvés et tenus debout, les liens forts qu’ils ont tissés toutes ces années.

Pour Dominique, cette épreuve a conforté ce qu’elle était, une personne qui fait confiance. « L’important c’est d’être ensemble » souligne cette femme combative. Un trait de caractère qu’elle met sur le compte de son histoire familiale, rappelant ses origines modestes avec un père, arrivé seul en bateau du Vietnam en 1948.

Son mari François-Xavier a désormais le plaisir chaque samedi de recevoir la visite du fils de Vanessa, Antoine, aujourd’hui âgé de 17 ans. L’adolescent lui fait la lecture, lui fait écouter du rap. « Ces deux-là se sont trouvés » s’exclame Dominique, ravie.

Frédérique Chapuis

Une explosion au gaz meurtrière

L’explosion du 12 janvier 2019 (produite par une rupture de canalisation de gaz suite à une affaissement ; la conséquence d’une infiltration d’eau déclenchée depuis au moins 2015, creusant une cavité souterraine, et provenant d’une conduite d’évacuation d’eau usée et de pluie) a tué quatre personnes, dont deux pompiers et fait plus de 200 blessés.
Plusieurs gravement touchés enchaînant les opérations (jusqu’à 60 pour Inès : écoutez son témoignage sur RTL), ont des séquelles à vie. Amor a perdu un oeil, est incapable de se servir de son bras gauche, souffre de vertiges, doit être accompagné pour chaque geste de la vie quotidienne. Améroche a subi de graves blessures à l’abdomen, Angela, une dixième opération à la jambe. La jeune italienne attend beaucoup de sa dernière intervention chirurgicale qui dans le meilleur des cas lui permettra de remarcher avec des chaussures orthopédiques mais sans béquille.

En plus des blessures physiques, tous racontent les traumas psychologiques, l’incapacité à reprendre le travail, et l’enfer quotidien pour se faire indemniser.
Rassemblés au sein de l’association VRET, présidée par Linda Zaourar, ancienne directrice des deux hôtels touchés, ces salariés et touristes qui se trouvaient dans les établissements au moment du drame, se battent pour obtenir des réparations financières à hauteur des lourds préjudices subis.
Or, malgré l’accord-cadre d’indemnisation signé en janvier 2022 et 21 millions d’euros provisionnés, plusieurs victimes n’ont toujours rien reçu, leurs préjudices spécifiques n’ont pas encore été déterminés.

Après six ans d’enquête, émaillée d’expertises et de contre-expertises, la procureure de Paris a requis un procès au pénal pour une série de graves manquements contre la Ville de de Paris et le syndic de copropriété.
Selon Le Parisien, le tribunal de Paris s’organise pour qu’une audience se tienne au premier trimestre 2026, sous réserve de renvoi des mis en cause devant la justice.

Angela Grignano en chaise roulante posant avec la maire du 9e, Delphine Bürkli.

12 janvier 2025, cérémonie d'hommage aux victimes de la rue de Trévise. En fauteuil, Angela Grignano, gravement blessée. À ses côtés, la maire du 9e, Delphine Bürkli.