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De la fin du 19e siècle aux Années folles, dont elle est l’un des symboles, Paris raffola de la perle, ce trésor nacré pêché en Orient. Au cœur de l’industrie du luxe, elle inspira non seulement les joailliers mais aussi les créateurs de mode et plus largement les artistes de l’époque. C’est cette histoire oubliée que nous conte l’exposition « Paris, capitale de la perle » à l’École des Arts Joailliers.

Chargée de symbole, rare par nature et dont la récolte est dangereuse, la perle est objet de convoitise depuis l’Antiquité où impératrices romaines comme byzantines la portent à l’oreille. Gemme organique, à la genèse intrigante, son pouvoir d’attraction traverse les époques. Dans les cours européennes, princesses et femmes de rang se parent de perles, brodées sur velours, en broche, ornant la chevelure. En Inde, les maharajas s’en couvrent le poitrail et le turban.
Mais c’est à Paris, entre 1880 et 1929 que la perle fine connaîtra son véritable âge d’or.

La star des Années folles

À la fin du 19e siècle, elle habille le cou des reines d’Europe puis ceux de la haute bourgeoisie industrielle ; ainsi ce collier de perles fines associées à des diamants porté par l’Impératrice Joséphine, ou cette  parure de lady Wolverton, une création de Boucheron. Le goût est alors à la parure à motifs stylisés de fleurs et de végétaux.
Devenue l’objet d’un intense commerce entre la capitale et le golfe Arabo-Persique, la perle fine fait un malheur de la Belle Époque à l’Art déco.

Au sortir de la première guerre mondiale, c’est le Tout-Paris des Années folles qui cède à la perlomania. Elle danse le Charleston avec les garçonnes, habille les robes sans corset de Poiret, inspire Coco Chanel et avant elle, Jeanne Lanvin.
Mieux que la pierre de couleur, elle se porte aussi bien en journée que la nuit.

Photo de Franck Eugène présentant une femme à belle époque tenant un sautoir de perles

La Perle, Franck Eugene, 1900 - 1909. Tirage gélatino-argentique. New York, Metropolitan Museum of Art.

Les femmes du monde se parent de longs colliers, les enroulent au poignet, autour du cou, de leurs hanches, les laissent pendre à leur dos. Toutes se disputent les petites perles du Golfe, reconnaissables à leur ton crème, parfois nuancé de rosé.
Symbole de modernité, on retrouve le motif de la perle sur les tableaux, les illustrations de presse, les affiches publicitaires, à l’intérieur des magazines de mode naissants. Au cinéma, au théâtre, à l’opéra, dans les livres, ce fétiche inspire les artistes.

Bracelets ornés de perles une création René Boivin, d’inspiration barbare, 1935-1937, or granulé, perles fines.

Bracelets ornés de perles, une création René Boivin, d’inspiration barbare, 1935-1937, or granulé, perles fines. La Galerie parisienne.

Devant de corsage représentant deux marguerites avec des perles et diamants

Henri Vever. Devant de corsage, 1900, perles du Mississippi, diamants, émail, or, argent. Coll. Faerber.

Collier de perles à 5 rangs

Collier Gourdji, Perles fines, fermoir avec diamants. Coll. Faerber. Il faut des années pour obtenir des perles identiques afin de former un rang le plus harmonieux possible.

De grandes familles de négociants

Au pic de l’activité, plus de 300 négociants sont répertoriés rue La Fayette dans le 9e, à proximité du bureau des douanes, situé rue Choron. Parmi eux, le « roi de la perle », Léonard Rosenthal, à la tête d’un véritable empire.
Jeune homme, la bosse du commerce dès l’âge de 12 ans, il suit des études à l’école commerciale de l’avenue Trudaine, travaille chez le cristallier Baccarat, commence  une carrière de courtier d’art pour se tourner rapidement vers le négoce de pierres précieuses et de perles. Court-circuitant les intermédiaires, ce dernier traite directement avec les pêcheurs locaux à Barheïn. Il se spécialise ensuite dans la perle du Venezuela qu’il importe et revend à prix d’or.
En 1900, Samuel Worms se lance à son tour rue Cadet puis rue de Châteaudun pour finir rue Royale. Il est le premier à commercialiser en France les perles de culture Mikimoto en provenance du Japon.

Salle d'exposition présentant des bijoux de perles sous vitrine

Photo Dylan Dubois.

Salle d'exposition présentant des bijoux de perles sous vitrine

Photo Dylan Dubois.

Si les années 1910 voient une explosion du marché parisien où la valeur des perles n’a jamais été aussi élevée, la frénésie perlière loin de s’effriter, continue entre- deux-guerres.
En 1917, un riche couple d’américains échange en un claquement de doigt son hôtel particulier sur la 5e Avenue à New York contre un collier deux rangs de chez Cartier.

L'inexorable déclin

L’éclat de la perle fine disparaît avec la crise de 1929 et les faillites en cascade. L’arrivée du pétrole, la surpêche dans le Golfe et l’évolution des modes accélérant la fin de règne. Au même moment, des voix s’élèvent comme celle du grand reporter Albert Londres pour dénoncer les conditions de travail désastreuses des pêcheurs de perle (plongée sans équipement, épuisement et accumulation de dettes).

L’Occupation nazie et la Shoah mettront un terme définitif au marché perlier, la grande majorité des marchands de perles étaient juifs.

Léonard Rosenthal qui a perdu son frère abattu par la Gestapo et sa soeur, assassinée à Ravensbrück, a réussi à fuir la France. Établi à New York, le marchand refait en partie sa fortune avec le négoce de perles de culture de Tahiti.
Soumises à des quotas de pêche très strictes, les perles encore récoltées aujourd’hui transitent désormais par l’Inde, via Bombay et Jaïpur, places fortes du négoce international.

Collier, 1890, perles fines, diamants, or, argent. Collection Privée,

Collier, 1890, perles fines, diamants, or, argent. Coll Privée. ©Albion Art Jewellery Institute.

La renaissance

Au XXIe siècle, la nouvelle génération de joailliers (Fred, JAR, Tiffany & Co.) se replonge dans les archives, en réinterprétant les créations classiques.
Redécouverte, la perle, ses formes et ses couleurs irisées, est source d’une créativité débridée. Les perles poires deviennent des pingouins, des blanches expriment l’aspect de la laine du mouton. Fred crée une collection de petits personnages, des broches pleines de fantaisie agrémentées d’une gemme de culture tout en rondeur.

Certaines maisons, pour travailler la perle naturelle quasiment intouchable car soumise à des quotas de pêche drastiques afin de pérenniser l’activité, partent d’anciennes parures ou de stocks de négociants. Cela donne des bijoux d’exception.

Désormais, on porte la perle en toute décontraction, au revers d’une veste, autour du cou ou négligemment au doigt. Montée sur or recyclé, la gemme devient le symbole d’une joaillerie plus éthique et sensible au développement durable.

Camille Trably

FRED - Broche-pendentif L'Amoureux - LES FREDY'S

FRED - Broche-pendentif L'Amoureux - LES FREDY'S. ©Collection Patrimoine FRED. Photo Mathieu Levaslot

Theodoros Broche, 2023 perles fines, diamants, or blanc. Collection privée.

Theodoros cisèle une broche en forme de plume. 2023, perles fines, diamants, or blanc. Collection privée.

Van Cleef & Arpels Broche "Gladiateur", 1956 Or jaune, émeraudes, rubis, perle baroque, perles fines, diamants

Une version de l'Antiquité par Van Cleef & Arpels, Broche "Gladiateur", 1956. Or jaune, émeraudes, rubis, perle baroque, perles fines, diamants. Coll. Van Cleef & Arpels.

Un clip Tête de mouton en perles fines et saphirs

JAR, Clip "Tête de mouton", 2006 - Perles fines, saphirs étoilés cabochon, aluminium, argent, or. Collection privée.

École des Arts Joailliers, 16 bis boulevard Montmartre, Paris 9.
Exposition jusqu’au 1er juin 2025
Du mardi au dimanche, de 11h à 19h. Nocturne jusqu’à 21h le jeudi.
Entrée gratuite sur réservation.
Visites guidées pour les adultes et pour les enfants (7 à 11 ans).
Pour aller plus loin :
Cours d’initiation : « La perle : Histoire, Science et Légendes »
En écoute, le Podcast « la Voix des bijoux »  Saison 5 : La légende des perles