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Du monde de l’art à celui de la pâtisserie haut de gamme, le quinqua Thibault de Chastenet a réussi sa reconversion professionnelle. Un parcours mûrement réfléchi, courageux, qui force l’admiration.

Thibault-de-Chastenet

Thibault de Chastenet, fondateur de Château Sablé – ©Bertrand Bernager

Le déclic lui vint par un beau dimanche ensoleillé. « Je pâtissais à la maison. Tout était bien. J’appréciais ce moment, ce sentiment de bien-être. » À l’époque, Thibault de Chastenet, la petite quarantaine, connaît une grosse période de doute. Depuis 20 ans, il poursuit une carrière de peintre/illustrateur. Au 28 rue La Bruyère, dans son atelier/galerie, il peint « du figuratif qui tend vers l’abstrait », organise des expos, travaille la matière, le ronde-bosse, l’illustration en 2 et 3D. Dès que ses activités professionnelles lui en laissent le loisir, il cuisine à la maison. « Je me lançais dans des recettes compliquées sur plusieurs jours et j’invitais des amis » se souvient-il. Une passion qui le conduit à développer des liens avec le restaurant d’en face « Les Canailles » que viennent d’ouvrir deux chefs Yann Le Pevedic et Sébastien Guillo.
« Je leur montrais mes plats. Ils partageaient leurs recettes. » Entre l’artiste et les restaurateurs se noue une belle amitié qui trouvera sa concrétisation quelques années plus tard.
Pour l’heure, en 2009, Thibault cogite sec. Les amateurs d’art qui franchissent sa galerie se font rares : « À la place, J’ai eu affaire à des faiseurs d’argent. J’aimais mon activité mais l’exercer sur un plan professionnel m’était devenu difficile. » Les serrages de mains dans les soirées parisiennes, les faux-semblants, les sourires en coin et quelques déconvenues l’incitent à prendre un nouveau départ.
Et Thibault n’est pas homme à faire les choses à moitié. Il se présente et est admis au sein de la prestigieuse école Ferrandi en section pâtisserie. À quarante ans, l’un des plus vieux de sa promotion, il démarre une formation pour adultes. « Ce fut quatre mois très intenses. À un moment, j’ai failli baisser les bras. C’était dur physiquement et moralement » reconnait Thibault qui à l’époque peut compter sur la bienveillance d’un professeur remplaçant qui le prend sous son aile, dédramatise, tout en ne lui laissant aucun répit : « J’étais constamment à ses côtés. Je le regardais faire. J’essayais de reproduire ses gestes assurés et précis. » Une semaine qui le remet en selle. La confiance revenue, il obtient son diplôme de pâtissier haut la main et débute une nouvelle vie professionnelle.

Se faire de l’expérience

Le pâtissier fraîchement diplômé doit faire ses classes. Tout d’abord chez Bernard Loiseau à Saulieu « J’avais comme chef Benoit Charvet, meilleur pâtissier 2013. » Après quelques semaines en Côte-d’Or, retour sur Paris pour effectuer un stage chez Dalloyau. « Je me suis dit : ” tu as 15 jours pour faire tes preuves et décrocher un CDD” » se rappelle Thibault. À force de travail et d’humilité, le pâtissier transforme l’essai et signe un CDI. Il restera trois ans chez le traiteur de prestige, responsable des petits entremets. De quoi découvrir tous les postes et les facettes du métier, sans en occulter les contraintes : Le travail debout, de nuit, l’organisation en brigade qui impose une certaine rigidité. Un mal nécessaire pour Thibault : « À la période de Noël, quand il faut envoyer 2000 bûches après une nuit de travail et que l’un d’entre nous n’était pas assez attentif,  tout pouvait partir en sucette. »
Petit à petit, Thibault acquiert de l’assurance, adopte le métier et se fait reconnaître par ses pairs. On viendra le débaucher. Myriam Sabet le choisit pour l’aider à développer ses pâtisseries aux influences levantines, en vue de l’ouverture de la Maison Aleph.
Aujourd’hui encore, Thibault mesure sa chance : « J’ai pu côtoyer de très près des grands de la pâtisserie française, Nicolas Boucher, le MOF Yann Brys, Arnaud Dupuis ou encore François Daubinet. » Des rencontres qui l’ont fait progresser et qui le rassurent : « Toutes ces années m’avaient conforté dans l’idée que je ne m’étais pas trompé de voie. Il était temps pour moi d’ouvrir ma propre boutique. »

Vitrine de Château Sablé

Une vitrine sobre et élégante à l'image de son propriétaire. @Bertrand Bernager

L'intérieur de Château Sablé

Une boutique lumineuse et ouverte sur l'atelier de fabrication. @Bertrand Bernager

De United Kitchens à Château Sablé

Thibault de Chastenet mûrit son projet au sein des cuisines partagées de United Kitchens, au château de Nanterre. C’est là qu’il rencontre son futur second, Alexandre. Pour l’heure, le pâtissier réalise des tests, peaufine ses recettes avec une idée en tête : travailler le sablé, un biscuit traditionnel qui peut se prêter à toutes les innovations. « Après avoir réalisé beaucoup de mousse. J’avais envie de croquant » lâche Thibault qui profite des deux confinements pour monter son projet d’entreprise. Ses années dans l’illustration ne sont pas perdues. Il dessine son logo signature, les plans de sa future boutique, située dans son ancien local d’artiste.
S’ensuivent des travaux qui s’éternisent et enfin, une ouverture le 4 janvier 2022. « Je me suis créé un lieu au chausse-pied avec une partie vente, un corner et le labo visible de la rue » explique le chef pâtissier qui met un point d’honneur à travailler en toute transparence sans s’isoler de la clientèle. Thibault reconnaît « avoir besoin du contact et du retour direct des clients », une relation quasi-inexistante au sein des labos fonctionnant en vase clos : « À Saulieu, les cuisines sont certes magnifiques mais je n’ai vu la salle que deux fois. »
Ouvert pour l’Épiphanie, son baptême du feu, Thibault se taille un beau succès dans le quartier avec ses galettes à la frangipane et pâte sablée. De fil en aiguille, le bouche à oreille a fait son œuvre et les ventes augmentent régulièrement. Enfin cerise sur le gâteau, l’équipe du restaurant « Les Canailles », toujours bienveillante et de bons conseils s’est associée avec le chef pâtissier.  Plein de gratitude envers les personnes qui lui ont tendu la main tout au long de son parcours, Thibault souhaite faire de même avec son jeune second.

Un sablé framboise pistache

Un sablé confiture framboise et pistache d'Iran @Bertrand Bernager

Assortiment de saveurs

Un assortiment de saveurs @Bertrand Bernager

Des sablés d'exception

Parmi les valeurs sûres proposées en boutique, le Diamant, un sablé sec au cœur tendre avec zest de citron et noisettes du Piémont, enrobé de sucre glace. En sachet, des brisures de sablé noisette, quinoa rouge et pavot, dangereusement addictives. Sur chaque mignardise, on reconnait la patte de l’artiste, mariant avec subtilité, saveurs, couleurs et textures.
Pâques arrivant à grands pas, Thibault et Alexandre planchent sur une création inspirée du shortbread, un biscuit écossais, avec caramel, tonka et disque de chocolat croquant. La saison avançant, la fraise, le coing et l’abricot vont faire leur apparition. Exit, la figue l’ananas et la poire. La team jamais à court d’idées songe à des sablés salés pour les picnics et autres apéros aux beaux jours.
Thibault n’en revient toujours pas. À cinquante ans et des poussières, cet homme a su redonner du sens au mot travail.

Frédérique Chapuis

Château Sablé
28, rue La Bruyère, Paris 9e
Horaires d’ouverture : du mardi au samedi, de 10h à 20h.