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Les bijoux de scène de la Comédie-Française s'exposent. Un univers où le faux côtoie des savoir-faire traditionnels de la joaillerie. Des pièces à découvrir dans les salons du magnifique hôtel de Mercy-Argenteau sur les Grands-Boulevards, nouveau lieu de L'École des Arts Joailliers.

Dans les salons feutrés de l’hôtel particulier de Mercy-Argenteau, le visiteur plongé dans la pénombre, ne peut qu’être ébloui devant ces diadèmes, couronnes, ceintures et colliers, scintillant de mille feux qui ont fait les belles heures du Français.

Que du toc !

Fabriqués aux XVIIe et XVIII siècles par des artisans de Paris qui travaillent le métal, ces pièces réalisées à base d’alliage cuivreux (à défaut d’or de platine ou d’argent), de fausses perles de verre coloré ou de camée coquille, offrent aux spectateurs dans la salle, une illusion parfaite.

Du faux pour des raisons d’économie et pour résister au jeu des acteurs car ces derniers s’empoignent et se battent, tombent à terre.
Difficile alors de risquer de perdre pierres ou perles véritables, d’où l’utilisation de matériau factice.
« On fait de l’effet avec du toc, souligne la commissaire de l’exposition Agathe Sanjuan, mais avec des techniques de montage digne de la joaillerie. »

Première salle de l'exposition avec notamment la couronne de laurier portée par le comédien Talma et offerte par Napoléon

Une première salle à la scénographie inspirée du théâtre. Photo L’École des Arts Joailliers - Benjamin Chelly.

Coffret avec à l'intérieur une couronne de laurier dorée offerte à Talma par Napoléon

Couronne de laurier en alliage cuivreux offerte à Talma par Napoléon. L'écrin comprend une citation manuscrite de l'Empereur.

Détail du Ddadème de Rachel aux perles et camées pour le rôle de Phèdre à l'acte I.

Détail du diadème de Rachel (tôle en argent doré, perles d'imitation et camées de coquille) pour le rôle de Phèdre, acte I.

Diadème de Rachel aux pierres de couleur pour le rôle de Phèdre, Acte II.

Diadème de Rachel aux pierres de couleur facettées et turquoises, pour le rôle de Phèdre, acte II.

Les bijoux, symboles de notoriété

Les comédiens et comédiennes, surtout au XVIIe siècle, à l’époque où les bijoux et costumes leur appartenaient, s’ornaient de parures offertes par leurs admirateurs, pour briller sur scène, dans un joyeux mélange de styles.
Une pratique sujette à bien des contre-sens où valets et soubrettes se retrouvent couverts de pierreries. Ainsi, en dépit des remarques de Molière, Madeleine Béjart,  joue les servantes embijoutées sans souci de réalisme.
Le bijou accrédite alors le statut de vedette de l’artiste qui répugne à jouer sans accessoire.
En 1768, Mme Favart fut l’une des premières à “oser sacrifier les agréments de la figure à la vérité de caractères“, quand elle entra sur scène dans le premier opéra du jeune Mozart “Bastien et Bastienne” vêtue en simple paysanne, portant une croix Jeannette.

Les comédiens et comédiennes auront longtemps une marge de manoeuvre importante sur les bijoux. Des pièces qui transitent de la scène à la ville.
Une situation qui prend fin au XIXe siècle quand le théâtre, dans un souci de fidélité historique, fournira aux troupes l’ensemble des bijoux qui intégreront dès lors le fond d’accessoires.

Les 3 diadèmes de Phèdre portés par Rachel

Les trois diadèmes de Rachel portés à chaque acte de Phèdre. Photo L’École des Arts Joailliers - Benjamin Chelly.

L'art de la parure

Talma, Mlle Rachel et Sarah Bernhardt, de vraies stars en leur temps, ont porté de magnifiques bijoux de scène. Parmi la centaine d’œuvres exposées issues des collections de la Comédie-Française, et qui ont fait l’objet d’une restauration de L’École des Arts Joailliers, la commissaire pointe quelques parures appartenant à la légende du théâtre.

La couronne de laurier du grand tragédien Talma. Un cadeau impérial offert en 1814 par Napoléon, symbole des liens entretenus entre théâtre et politique. Ne pas passer à côté de la citation manuscrite à l’intérieur de l’écrin : « L’Empereur dit à Talma, après l’avoir vu jouer Néron : Talma, nous faisons de l’histoire. »
Les deux hommes ont entretenu une relation privilégiée, le jeune Bonaparte était alors fasciné par le jeu du comédien quand ce dernier abordait des rôles de rois et d’empereur. Si le comportement de star de Talma et son besoin incessant d’argent vont en irriter plus d’un à la Comédie-Française, son talent fera taire toutes les critiques.

Autres belles pièces présentées, les trois diadèmes de Rachel portés à chaque acte, pour le rôle de Phèdre. La comédienne, petite femme chétive, issue d’une famille misérable, triompha dans les rôles classiques dans les années 1840 – 1850.
Superbe en Bérénice ou en Chimène, elle est considérée comme la plus grande tragédienne de son temps. Tout comme Talma, ses caprices et exigences financières faisaient d’elle une parfaite diva.

Le diadème présenté dans le 1er acte de Phèdre (voir photo plus haut), une parure à l’antique vue par le prisme du romantisme, est une recomposition réalisée en 1986 avec certains éléments datant du XIXe siècle. Une pratique fréquente, puisque l’on démonte, répare et remonte en fonction des besoins. Si l’exécution est de toute finesse, les réparations sont parfois grossières car effectuées à la va-vite entre deux représentations par les accessoiristes.

La femme bijou

C’est à Sarah Bernhardt que revient la médaille de porter haut l’art du bijou sur scène. L’un des monstres sacrés de Cocteau, qui ensorcelle ses admirateurs dont Freud, ébloui, triomphe en reine dans Ruys Blas en 1872.
Dans Théodora de Sardou, elle subjugue son public avec une tenue intégralement recouverte de broderies et de pierreries.
Désormais, on fait appel à de célèbres créateurs dont René Lalique qui conçut pour “La Divine”, une parure de tête ornée d’aigles aux yeux brillants.

La vente des bijoux de la tragédienne qui eut lieu à la galerie Charpentier, quelques mois après sa mort en 1923, fut un événement mondain. De nombreuses célébrités acquirent les dernières dépouilles de l’artiste qui n’hésitait pas à mélanger parures exceptionnelles de grands joailliers et bijoux en toc chatoyants pour orner ses costumes comme ceux de sa troupe.

Couronne de la Reine portée par Sarah Bernhardt dans Ruy Bas de Victor Hugo, 1879

Couronne de la Reine portée par Sarah Bernhardt dans Ruy Bas de Victor Hugo, 1879. Alliage cuivreux, perles d'imitation, verre au plomb sur paillon. © Coll. Comédie-Française.
Photo : L’École des Arts Joailliers – Benjamin Chelly.

Seul vrai bijou, une broche appartenant à Sarah Bernhardt

Seul vrai bijou de la collection : une broche ayant appartenue à Sarah Bernhardt et conçue par René Lalique, 1896.
Or, émeraudes, émail.

Les actrices, premières influençeuses

À la cour de Napoléon III, le théâtre est un divertissement dont on est très friand. L’impératrice Eugénie, séduite par la ceinture terminée par un large pagne de l’actrice Gabrielle Delval, portée sur la scène du théâtre de la porte Saint-Martin en 1864, voulut la même.
Mais alors que la maison Granger utilisait du faux, l’épouse de l’Empereur la fit réaliser avec les bijoux de la Couronne. S’avérant trop lourde et inadaptée à la robe à crinoline en vogue, la ceinture jamais portée, sera abandonnée, les diadèmes démontés.

Bijou de scène contemporain

Autrefois symbole de prestige, le bijou connaît au XIXe siècle, une véritable transformation pour devenir un outil de narration au service de la dramaturgie, permettant de renforcer l’authenticité de l’intrigue.
L’esthétique et les matériaux vont également se renouveler.
Au XXe, les bijoux raffinés et les matières d’imitation cèdent la place à des pièces plus contemporaines composées de nouveaux matériaux : caoutchouc, résine, plastique recyclé…
Les créations originales côtoient désormais des réutilisations d’éléments existants, puisés dans le riche stock d’accessoires du théâtre. Ainsi, les équipes artistiques
composent de nouvelles parures, si essentielles aux comédiens et comédiennes pour les aider à incarner leurs rôles sur scène.

Portrait de l'actrice Gabrielle Delval portant une ceinture ornée de bijoux

Portrait de Gabrielle Delval. Photographie d'Antoine René Trinquart. Tirage sur papier albuminé 1870-1890. Paris, musée Carnavalet. Paris Musées.

Vitrine avec la couronne portée par Mlle Raucourt pour le rôle de Cléopâtre.

Dans la vitrine, la couronne portée par Mlle Raucourt pour le rôle de Cléopâtre.
Vers 1807, alliage cuivreux doré, perles soufflées, verre au plomb.

Coiffe à l'orientale

Coiffe à l’orientale, modèle du bijou de scène contemporain (alliage, perles en céramique et de lapis-lazulli) composée en 1987 à partir d’une structure métallique du XIXe. Portée par Martine Chevallier et Véronique Vella dans le rôle d’Esther (Racine) dans une mise en scène de Françoise Seigner.

Collier de l'ordre de la Toison d'or

Collier de l'ordre de la Toison d'or. 1884, alliage cuivreux doré, verre coloré. Porté par le comédien Maubant. Cet exemplaire a été utilisé jusqu'en 1979, témoin de la permanence du modèle.

Pectoral aux verres facettés porté par Mounet-Sully pour le rôle de Joad (Athalie de Racine)

Bijou mythique de l'antiquité biblique, le pectoral du grand prêtre de Jérusalem fut porté par Mounet-Sully pour le rôle de Joad dans Athalie de Racine - 1892.

L’hôtel de Mercy-Argenteau, un écrin sur les Grands-Boulevards

En investissant cette demeure historique méconnue, l’École des Arts Joailliers, ouvre, depuis le 13 juin, pour la première fois le lieu au public, révélant aux visiteurs et aux élèves de magnifiques décors classés, des salles aux volumes imposants et un escalier d’honneur, magnifié d’un superbe luminaire, remplaçant les lustres d‘hier, aujourd’hui disparus.

L’édifice construit en 1778 et que l’on remarque à peine depuis le boulevard, si ce n’est la présence des deux colonnes néoclassiques qui entourent la porte cochère, porte le nom de son premier occupant.
Le comte Florimond-Claude de Mercy Argenteau, personnage influent qui œuvra en coulisse pour le mariage du Dauphin, futur Louis XVI, et de Marie-Antoinette, en obtint l’usufruit. La Révolution en marche, le propriétaire du bâtiment, Jean-Joseph de Laborde, ancien banquier de la Cour, guillotiné, la propriété est cédée à un marchand sellier carrossier, à des fins locatives.
Une très bonne affaire pour la famille d’autant que les Grands -Boulevards sont désormais à la mode. Cafés, restaurants, théâtres et passages couverts drainent chaque soir une foule bigarrée.

Sous le Second Empire, devenue propriété d’une compagnie d’assurance, divers cercles de jeux en louent les pièces de réception, miraculeusement épargnées, du premier étage.

Des artistes de renom ont habité certains appartements dont le compositeur italien Rossini ou le français Boieldieu.
En 1891, une salle des fêtes est aménagée pour accueillir en grande pompe l’Union latine franco-américaine de Paris. Sa décoration, confiée à l’architecte Henri Fernoux, est si flamboyante, avec dorures, colonnes corinthiennes et plafond orné de figures en stuc, qu’elle sera un temps attribuée à Charles Garnier, bâtisseur de l’Opéra.

Une nouvelle vocation

En accord avec la Commission des Monuments historiques, les espaces ont été entièrement restaurés et adaptés à leur nouvelle vocation : un lieu de transmission et de découverte qui se veut le plus large possible autour du bijou.
Ainsi, l’École des Arts Joailliers avec le soutien de la maison Van Cleef & Arpels organisent deux expositions par an tandis que les salons d’apparat habillés de boiseries blanc et or datant de l’Ancien Régime, accueillent cours, formations et conférences.
La décoration a été confiée à la designeuse et architecte d’intérieur Constance Guisset qui a joué avec un bleu profond associé à un mobilier de chêne blond aux formes douces.

Une bibliothèque unique composée d’un fond précieux de 6000 documents entièrement dédié au bijou est en accès libre, aux chercheurs comme aux lecteurs.

Outre cet espace, une librairie accessible depuis le boulevard et baptisée
« L’Escarboucle », en référence au nom donné autrefois aux pierres fines d’un rouge vif, réunit un fond exceptionnel sur la joaillerie, ses savoir-faire, la gemmologie et s’ouvre aux arts appliqués, à l’histoire du goût et de la mode. Un nouveau lieu inspirant pour les amoureux du beaux livre, les créateurs en quête d’inspiration, et tous les curieux et passionnés de bijoux.

L’École des Arts Joailliers initie le grand public au monde de la joaillerie en organisant des ateliers adultes (dessin joaillier, découverte, création, gemmologie…) et jeunes publics et des conférences accessibles en ligne. En écoute, la série de podcasts « La voix des Bijoux ».

Frédérique Chapuis

Façade extérieur de l'hôtel particulier de Mercy-Argenteau

Façade de l'hôtel particulier de Mercy-Argenteau. Une demeure historique ouverte pour la première fois au public.

Salle de cours des ateliers de gemmologie

Hôtel de Mercy-Argenteau, atelier de gemmologie. Photo L’École des Arts Joailliers – Benjamin Chelly.

Intérieur de la librairie L'Escarboucle.

Hôtel de Mercy-Argenteau, librairie L'Escarboucle. Photo L’École des Arts Joailliers – Benjamin Chelly.

L’École des Arts Joailliers, 16 bis boulevard Montmartre, Paris 9e.
Exposition “Bijoux de scène de la Comédie-Française”.
Entrée gratuite sur réservation.
Jusqu’au 13 octobre 2024.