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Pour ce premier rendez-vous de l’année, la Fondation Taylor met à l’honneur les portraits grand format de Gérard Le Cloarec, lequel a souhaité inviter deux jeunes artistes : Mathilde Barazer de Lannurien et Ugo Schildge. À l’atelier, les œuvres des artistes lauréats des grands prix 2022 de la Fondation sont également présentées.

Le peintre Gérard Le Cloarec devant une de ses toiles

Gérard Le Cloarec se joue des notions de figuration et d'abstraction.

Gérard Le Cloarec a les yeux bleus, le visage auréolé d’un nuage de cheveux blancs et le verbe haut. Issu d’un milieu modeste mais « avec des parents formidables », ce natif de Penmarc’h en Pays bigouden intègre l’École des Arts décoratifs grâce à une bourse d’étude. Il décline à l’époque un poste d’assistant, « le prix de la liberté » pour se consacrer à sa peinture.

Cet adepte des grands formats travaille entre Paris dans son atelier du 14ème et l’île Callot à Carantec où il réside une partie de l’année. Son parcours, plus de 50 ans de peinture, l’a amené à exposer un peu partout en France comme à l’étranger. Il fait des rencontres notamment avec Pierre Cardin « qui a été un grand mécène pour moi » ; les critiques d’art dont Pierre Restany s’intéressent à son œuvre et lui consacrent deux monographies.

« Je ne fais pas de l’art mais de la peinture »

Gérard Le Cloarec est un grand pourfendeur de l’art dit contemporain, « l’art officiel financé par de grosses structures pour en faire des valeurs financières. »Très critique envers l’État et les musées qui ont démissionné et dont il ne faut rien attendre, il fustige l’esthétisme et « la culture fric » qui prévaut depuis une vingtaine d’années.
Se présentant comme un peintre vivant, il aura vécu « sans tout savoir, sans tout comprendre. C’était juste bien. »

Femme regardant une série de 4 jocondes par Gérard Le Cloarec

Quand Mondrian rencontre les Jocondes de Le Cloarec

Des portraits façon puzzle

Cet admirateur de Bacon travaille sur le mouvement de la rétine oculaire « à partir de particules de couleurs complémentaires. » Le peintre s’intéresse à la technologie et à la science, travaille dès les années soixante sur la thématique de l’homme bionique et de l’intelligence artificielle « Je me pose des tas de questions et je peins sans jugement » explique celui qui s’empare de personnalités et exécute leur portrait dans un style fait de déconstruction, de symboles et de signes. En s’approchant de la toile, c’est le chaos, un champ de bataille chromatique où se croisent et s’affrontent de multiples touches qui structurent la forme. Mais quelques pas en arrière suffisent à faire surgir la représentation, celle d’un visage connu ou non, entraînant avec lui, l’univers personnel de l’artiste.

De Mona Lisa à Julian Assange

Gérard Le Cloarec s’attaque au mythe de la Joconde à travers une série irrévérencieuse de dix tableaux dont quatre sont visibles à la Fondation Taylor. Mona Lisa se retrouve à l’état de squelette, les mains reposant sur sa tête « J’ai toujours aimé joué aux osselets » déclare-t-il goguenard.
Autre série, celle des Indiens exterminés par les Américains. Il peint des hommes qui l’ont touchés, comme le marin Éric Tabarly ou l’abbé Pierre, dont le portrait orne l’accueil du siège social d’Emmaüs à Montreuil. Il s’attaque à Martin Luther King, réalise le portrait de Samuel Pati, celui de Julian Assange, ajoute des mots qu’il faut lire à l’envers, « Je fais ce que je dois faire car ce monde tourne carré, il ne tourne pas rond » précise Gérard Le Cloarec.

Le peintre se fait du souci pour la relève, tous ces jeunes qui veulent vivre de leur art, comment vont-il s’en sortir ? « Il faut être libre et avoir du temps sinon on refait inlassablement le même tableau » souligne le Breton qui fait oeuvre de transmission dans son atelier et a décidé d’en inviter deux à son exposition.

Tableau de Gérard Le Cloarec

Gérard Le Cloarec - Instruments de démesure - 2019

Deux portraits d'Indiens par Gérard Le Cloarec

Gérard Le Cloarec - Indiens - 2008

Mathilde Barazer de Lannurien devant l'une de ses toiles

Mathilde Barazer de Lannurien réenchante la nature. Le végétal et l'animal se prêtent à une vision fantasmée du réel.

Un univers coloré et sauvage

Avec Mathilde Barazer de Lannurien, qui signe MBL « c’est plus rapide à dire », on découvre un univers poétique et onirique aux couleurs denses et saturées. « La couleur c’est la vie. Définitivement » clame l’artiste qui avoue une légère obsession pour la panthère. « Un animal fascinant, gracieux et très intéressant à travailler. » La jeune femme intègre le fauve à l’intérieur d’une végétation luxuriante fantasmée. « Je souhaite mettre en lumière toute la fragilité de notre éco-système actuel tout en invitant au voyage sans rajouter d’angoisse. »
L’ensemble présenté sur des grands formats accroche le regard et surprend par la finesse. Pour obtenir toute la précision qu’elle affectionne, Mathilde travaille au pinceau ou au feutre-marker avec une encre acrylique. Et pour obtenir la densité désirée, elle a besoin de repasser au minimum trois fois sur chaque motif, soit plusieurs mois de travail pour une seule toile. Une approche de longue haleine qui lui permet de se démarquer  « de sortir du lot » comme elle dit.

Sa représentation des animaux sauvages, fauves mais aussi oiseaux ou singes, se fait à partir de photos. « Il faut que l’on puisse reconnaître l’animal immédiatement même si je me permets quelques libertés dans les couleurs » comme ce jaguar au pelage inversé.

Issue d’une famille de peintres, Mathilde qui a grandi au milieu des œuvres de son arrière grand-père, a décidé de se consacrer entièrement à la peinture en 2018. Auparavant, celle qui a étudié le stylisme et le modélisme “pour avoir un vrai métier” a travaillé une dizaine d’années dans l’univers de la mode.
Finalement, elle n’y a pas rencontré la créativité et la liberté qu’elle expérimentait en peinture « Il y avait une seule chose que j’avais envie de faire, c’était peindre. J’ai tenté pour ne pas avoir de regret  plus tard. »
Aujourd’hui, la jeune femme qui vit et travaille à Rambouillet – sur l’ancienne table d’architecte de son aïeul – a trouvé son équilibre. Elle vend grâce au bouche à oreille. Et si, comme pour la majorité des artistes, les périodes fastes succèdent à des moments plus difficiles, elle hausse les épaules « Plaie d’argent n’est pas mortelle » répond-elle joliment.
Heureuse d’exposer à la Fondation Taylor, « Au moins, on voit mon travail en vrai, c’est différent d’Instagram avec tous ces filtres et ses retouches », Mathilde conclut l’entretien par une vérité toute simple « L’important c’est d’être heureux de faire. »

Tableau d'une panthère sur un arbre par Mathilde Barazer de Lannurien

@MBL - Dreamer - 2021 - Encre acrylique sur toile

Jungle, tableau de Mathilde Barazer de Lannurien

@MBL - Jungle, inspiré par le tableau "Diane et Actéon" de son arrière grand-père, Bernard Boutet de Monvel

Ugo Schildge, le peintre sculpteur

Vous aimez les tournesols de Van Gogh ? L’artiste Ugo Schildge en présente une version toute personnelle. Ce diplômé des Beaux-Arts de Paris (1994) au sein de l’atelier du sculpteur Giuseppe Penone, détourne les techniques acquises sur le bois, le béton et le métal pour proposer un volume en 2D, un tableau à mettre au mur.
Brouillant la frontière entre peinture et sculpture, son procédé mis au point depuis quelques années consiste à couler une chape de béton dans un cadre en bois. Il vient ensuite, à partir de pigments naturels, dessiner au doigt, au couteau ou à la grosse seringue. Parfois, il ajoute de la céramique.

Une part d’incertitude acceptée

« J’ai entre deux ou trois heures avant que le béton ne sèche et fige le pigment. C’est un moment de création très dynamique, très instinctif » explique Ugo Schildge.
Si, au préalable, ce dernier a bien en tête son sujet et dispose tous ces matériaux autour de la table, « au moment où je commence, je suis obligé d’aller au bout du travail pictural. »
Une performance avec lui-même sans spectateur dont le résultat n’est jamais totalement certain. En effet, de nombreux paramètres restent aléatoires. « C’est le procédé technique qui m’intéresse. Il y a plusieurs facteurs sur lesquels je n’ai pas de prise : la dissolution des pigments, la température de l’air, de l’eau. C’est le séchage qui finit le tableau. Une fois ce dernier levé, le résultat ne m’appartient plus » raisonne Ugo, qui accepte cette part d’incertitude, entre contrôle et liberté.

Ugo Schildge devant son tableau Tournesols

Ugo Schildge devant ses Tournesols

Le peintre sculpteur propose donc de magnifiques tournesols, sorte de dialogue impossible, entre des fleurs à la nature éphémère, symbole de fragilité et du béton, matériau industriel, solide et pérenne. « Un contraste entre le sujet et la matière, celui d’un univers floral se retrouvant fossilisé, presque un oxymore. »
Pour obtenir des jaunes vifs, Ugo choisit des teintes très vives, car mélangées au plâtre blanc ou au béton gris, elles perdent de leur éclat. « Je dois utiliser un jaune quasi fluo pour obtenir un jaune indien. Et comme le matériau est poreux, j’applique ensuite un vernis pour protéger les motifs de toutes craquelures futures. »
Ugo Schildge a l’habitude de travailler sur des grands formats qui conviennent à sa pratique. Pour cela, il a pu disposer en 2020 d’un atelier au sein de l’incubateur d’artistes Poush situé à Aubervilliers qui accueille plus de 200 artistes dans les bâtiments d’une ancienne parfumerie.

Le lion d'Ugo Schildge

@Ugo Schildge - Lion

Crocodile d'Ugo Schildge

@Ugo Schildge - Crocodile

Fondation Taylor, 1 rue La Bruyère, Paris 9.
Exposition jusqu’au 28 janvier
Horaires : du mardi au samedi, de 13 h à 19 h

Frédérique Chapuis