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Taha Siddiqui, journaliste pakistanais en exil depuis 2018, est à la tête du Dissident Club, rue Richer. Un bar ouvert à tous et un lieu culturel engagé, accueillant exilés de tous pays.

Un “Au revoir” écrit dans sa langue natale, le Urdu, qui s’affiche sur l’écran de l’aéroport d’Islamabad. C’est la dernière image qui imprègne les rétines de Taha alors qu’il quitte son pays dans des circonstances dramatiques, devenu Persona non grata pour « les militaires pakistanais », il en est certain, qui ont, quelques semaines plus tôt, tenté de l’enlever.
Sorti violemment de son taxi, il est frappé puis jeté dans un véhicule pour une destination inconnue. C’est à la faveur d’une portière non verrouillée qu’il échappera de justesse à ses ravisseurs armés.
Cet homme qui court comme un fou, parmi les voitures embouteillées, est un journaliste courageux qui refuse de se taire : « J’ai été plusieurs fois menacé en raison de mes reportages et mes enquêtes sur les abus de l’armée. Une puissance qui recouvre de son ombre toutes les strates de la société, du gouvernement aux autorités locales. »

Un épisode qui va le contraindre au départ mais pour aller où ? la France est aussitôt envisagée. « J’avais des contacts sur place car je travaillais déjà avec des médias français depuis une dizaine d’années », note le lauréat du prix Albert Londres 2014. Fuyant avec femme et enfant, il peut compter en arrivant à Paris sur un réseau d’entraide.

Sur la liste rouge

Au bout de quelques semaines, il est contacté par les autorités françaises et américaines. L’information transmise est grave : Son nom fait partie de la liste des personnes à abattre au Pakistan. « À ce moment précis, j’ai réalisé que je ne pourrai jamais retourner dans mon pays » lâche Taha qui ouvre alors le nouveau chapitre d’une vie qui va s’écrire en exil.
Toujours autant concerné, il monte safenewsrooms.org, un espace de liberté d’expression à destination des médias d’Asie du Sud. La plateforme primée par Reporters sans Frontières en 2018, sera censurée par les autorités pakistanaises. Un nouveau site est immédiatement créé, Southasiapress.org, toujours avec le souci de relayer librement des informations en provenance du sous-continent Indien.

Taha Siddiqui, responsable du Dissident Club devant la porte

Taha Siddiqui ouvre chaque soir à 18h, The Dissident Club.

Intérieur du Dissident Club avec deux musiciens de jazz

Une programmation musicale jazz deux fois par semaine.

Cible d'un jeu de fléchette avec autour les portraits des dictateurs de tous pays

Pour se détendre avec quelques fléchettes, une belle brochette de dictateurs...

Intérieur du Dissident Club avec quelques clients assis

Habitués et voisins du quartier se retrouvent pour prendre un verre

Une nouvelle page à écrire

En 2020, Taha décide d’ouvrir un lieu à son image : « J’ai pensé ce bar pour recevoir et échanger avec des dissidents politiques qui se retrouvaient dans la même situation que moi. »
Un moyen de se sentir un peu moins seul et de donner du sens à sa vie. Suivant en cela la tradition française des cafés, lieux de débats et de conversations révolutionnaires, le journaliste se démène, trouve un local pour héberger “The Dissident Club”, un endroit où l’on peut discuter sans façon avec un inconnu, prendre une bière, manger un morceau et écouter un peu de jazz en début de soirée.

Réfugiés politiques et exilés se retrouvent chaque soir pour discuter, partager des expériences. Des conférences, des projections et des expositions régulières mettent en avant des parcours de vie. Artistes et intellectuels trouvent ici un refuge. « On attire souvent des personnes engagées, qui veulent non seulement boire un verre mais aussi avoir des interactions riches de sens » résume Taha qui programme régulièrement des concerts : « Le jazz est au départ une musique de dissidence. Ça fonctionne bien ici. »

Un bon accueil du voisinage

En posant ses valises rue Richer, Taha a découvert un petit monde, le voisinage immédiat qui l’a bien accueilli et des commerçants très aidants. Il se heurte néanmoins à la gentrification du quartier avec l’arrivée d’une clientèle à la recherche de lieux à la mode, loin des valeurs du Dissident Club. Pourtant, il aimerait mieux se faire connaître des habitants du 9e.
Afin de s’engager localement et sur les conseils d’une amie, Taha s’est présenté avec succès en 2020 au Conseil de Quartier Faubourg Montmartre. Plusieurs réunions de l’instance locale ont eu lieu dans son bar. Il se représente cette année et souhaite s’engager plus avant.
Généreux, il met déjà à disposition un lieu de stockage pour les bénévoles de l’association La balade des Lucioles (secteur Cadet) qui vient en aide aux plus démunis.

Taha Siddiqui au bar du Dissident Club

Taha anime avec dynamisme ce bar de quartier engagé pour les droits humains.

Le Pakistan, un pays dysfonctionnel

Ce qui lui manque le plus de son pays ? Certains proches qui ne peuvent faire le voyage par manque de moyens, même si les nouvelles technologies pallient en partie l’absence d’être chers.
Si Taha aimerait revoir les rues de Karachi où il a grandi, son école et l’université, « les endroits de mon enfance », de nostalgie du Pakistan, point. « C’est un pays dysfonctionnel qui n’était pas fait pour moi » lance-t-il sans regret. Paris lui convient mieux. « Je compare le Pakistan à une maladie. Si tu en es guérie, la maladie ne va pas te manquer. »
Ici, dans nos rues et nos cafés, Taha peut être lui-même. « Au lieu de vivre une vie d’hypocrisie et de mensonges, j’ai choisi le camp de la liberté. »

Un témoignage poignant

Dans un roman graphique relatant son parcours, « Dissident Club, chronique d’un journaliste pakistanais exilé en France » édité chez Glénat, co-écrit et mis en dessin par Hubert Maury, Taha évoque notamment avec un humour libérateur, la religion, ses interdits et les fractures qu’elle occasionne au sein des sociétés et des familles.

Sans rien gommer de ses relations conflictuelles avec un père devenu adepte d’un islam rigoriste, il ose enfin parler d’un sujet beaucoup trop dangereux à se saisir sur place. « Au Pakistan, je n’ai jamais dit que j’étais athée. On peut finir au bout d’une corde ou brûlé vif pour ça ! »

Portant un couvre-chef depuis son arrivée en France, comme l’attribut d’une nouvelle peau, Taha espère bien passer son test de français avec succès, prochaine étape pour acquérir la citoyenneté française en 2024. On le lui souhaite de tout cœur.

Frédérique Chapuis

Couverture de la BD "Dissident Club" éditée chez Glénat

Un roman graphique retraçant le parcours de Taha Saddiqui, est paru en mars 2023.

The Dissident Club, 58 rue Richer, Paris 9.
Horaires : du lundi au samedi, de 18h à minuit.