C’est un lieu culturel et patrimonial qui mérite le détour. Au 53 bd de Rochechouart, en face de La Cigale, le Phono Muséum accueille le public chaque vendredi et dimanche. Dans cet antre magique, c’est toute l’histoire du son enregistré qui est présentée, des premiers appareils à cylindres jusqu’aux technologies récentes. Une visite s’imposait.
Jalal Aro est plus qu’un passionné, c’est le gardien de la musique enregistrée, l’ambassadeur du pantaphone, du gramophone et autres phonographes et des vieux supports d’enregistrement.
Né en Syrie, l’homme a grandi à Alep. Adolescent, il écoute Radio Monte Carlo, des 45 tours de variété française, conseillés par son frère aîné et sa grande sœur. Il suit des cours de français dispensés par les Sœurs Franciscaines, tout en écoutant les dernier tubes anglo-saxons sur des cassettes audio pirates.
À l’époque, qu’importe le support physique, pourvu que Jalal ait l’ivresse du son, des sons venus d’ailleurs qui traversent les frontières.
La découverte du phonographe
Arrivé à Paris à l’âge de vingt ans pour ses études, Jalal a coutume de dire qu’il est né deux fois « en 1967 à Alep et en 1987 à Paris. » Deux ans plus tard, à la faveur d’une exposition à la galerie Colbert qu’il traverse chaque jour, il découvre le phonographe, en achète un, sur un déballage, qui s’avère une copie.

Casquette vissée sur la tête, Jalal Aro assure les visites au sein du Phono Muséum
Piqué au vif, il va se lancer avec sa compagne Charlotte à la recherche de modèles originaux aux quatre coins du monde et assemble petit à petit une collection personnelle de belle envergure. L’homme a développé un intérêt croissant pour la musique, les appareils et les supports d’enregistrement. D’une passion, il fera son métier.
L’ouverture de la Phono Galerie
Le couple emménage à Pigalle et ouvre en 2004 rue Lallier la Phono Galerie, un espace dédié à l’achat, la vente, la réparation et la location d’appareils liés à la reproduction sonore et à l’histoire de la musique.
Si Jalal a trouvé son équilibre économique, lui vient rapidement l’idée de rendre sa collection accessible au plus grand nombre ; un petit trésor amassé au fil des ans, près de 350 machines remises en état de marche et qui attendent de faire entendre leur sonorité particulière. « J’avais besoin de partager tout ce patrimoine méconnu avec les gens. De faire résonner une musique, une voix, comme l’ont entendue nos aïeuls » admet-il.
C’est ainsi que l’association Phono Planète, animée par une poignée de bénévoles dont il faut saluer le travail, voit le jour et que naît l’idée d’un musée. Ce sera chose faite en 2014, dans un local déserté depuis plusieurs années sur le boulevard de Rochechouart, à quelques pas de l’atelier-galerie.
Des visites sonorisées

Des appareils rares, tous en état de marche, sont exposés au Phono Muséum

À chaque intérieur bourgeois, son modèle de pavillon proposé en tôle, zinc, ou aluminium.
Une fois la porte du Phono Muséum franchie, à l’abri de l’agitation du boulevard, les visiteurs en prennent plein la vue et les oreilles. « Il faut les entendre ces machines. Si elles restent derrière une vitrine avec une pancarte, ce n’est pas très intéressant » énonce le maître des lieux qui manipule les supports avec précaution, sait remonter la manivelle d’un antique phonographe, orienter un pavillon en forme de fleur, ou encore faire marcher le Fontanophone, machine française à double pavillon et bras de lecture.
Parmi les pièces maîtresses de la collection, le phonographe Céleste de chez Pathé avec son pavillon en cristal, ou encore le meuble hi-fi réalisé sur mesure pour Maurice Chevalier, et acquis lors d’une vente à Drouot avec l’ensemble de la discothèque. « Chaque machine raconte une histoire, celle de l’inventeur, l’endroit où elle a été retrouvée, qui l’a possédée » souligne Jalal. Et pour que le voyage soit complet, des milliers de supports physiques : cylindres, 78 tours et microsillons ont été patiemment réunis par les petites mains de l’association.
Dans l’ambiance tamisée du Phono Museum, les voix « vrai souffle de la vie » de Fréhel, de Piaf ou de Berthe Silva, retentissent et l’émotion est là, présente et envoûtante.
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La folle épopée du son enregistré
Tout commence en France sous la Troisième République en 1878 avec les premiers appareils à feuille d’étain venus d’Outre-atlantique, fabriqués par l’entreprise Edison. La présentation au public eut lieu bd des Capucines, en présence du Préfet de police et de la presse. Les voix enregistrées perturbent le public. Magie, sorcellerie pour certains, d’autres sont persuadés qu’un ventriloque se cache dans la foule. « C’était la première fois que l’on entendait un chanteur sans se déplacer pour le voir en concert » note Jalal.
Les précurseurs français
Si l’histoire associe la paternité de l’invention du phonographe à l’américain Edison, c’est bien un Français, Léon Scott de Martinville (1817-1879), correcteur d’épreuves et libraire de son état, qui fut le premier à concrétiser les oscillations des vibrations sonores sur un support papier. Toutefois, il fut incapable d’extraire un texte de ces tracés comme il l’avait espéré ni de pouvoir écouter du son.
Son invention nommée le phonautographe qu’il présenta en 1857 resta confidentielle mais l’idée fit néanmoins son chemin et fut reprise vingt ans plus tard par Charles Cros, poète et inventeur.
C’est ce dernier qui fut à l’origine du principe de l’enregistrement sonore et de sa restitution mais, désargenté, il ne put faire breveter sa machine qu’il avait baptisée Paléophone. Toutefois, Charles Cros pris soin d’en transmettre une description détaillée à l’Académie des Sciences. À la faveur d’un article scientifique paru dans la presse, l’agent de la compagnie Edison à Paris en aurait informé le grand patron.
« Thomas Edison s’intéressait à tout, au progrès comme l’électricité ou le téléphone. Il n’avait pas de préjugés comme à l’époque pouvait en avoir le monde académique. Entouré d’une équipe d’ingénieurs, il expérimentait la moindre invention ou intuition » aime à rappeler Jalal.
Ainsi, entre les mains du puissant Edison, le principe imaginé par Charles Cros trouvera sa concrétisation industrielle.

Le Fontanophone, un système double avec pavillons orientables pour sonoriser les salles de bal
De la découverte à l’industrialisation
Une fois commercialisés, les premiers appareils domestiques, communément appelés phonographes, connurent un simple succès d’estime. Edison s’en désintéressant au profit de l’éclairage électrique, ce fut Graham Bell, le père du téléphone, qui améliora le support, remplaçant la feuille d’étain par le cylindre de cire. Au même moment, un ingénieur Allemand émigré aux Etats-Unis, Émile Berliner, dépose son premier disque à la Smithsonian Institution en 1887.
Stimulé, Edison améliore son procédé et présente un nouveau modèle qui va connaître un gros succès lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, le phonographe diffusant La Marseillaise. Ainsi, au fur et à mesure des progrès de la technique, « se dessine l’idée que la musique à domicile est peut-être la voie royale de l’exploitation industrielle du phonographe » expose le spécialiste.
D’autres acteurs comme la Columbia entrent en scène. Toujours aux USA, l’ingénieur italien Giani Bettini construit une tête de lecture plus élaborée et invite les artistes de passage à New York à enregistrer dans son studio. « Sarah Bernhard et Yvette Guilbert y feront leur premier enregistrement. » En France, le fabricant Henri Lioret sort une gamme magnifiquement réalisée.



À la Belle Époque, le disque a supplanté le cylindre et les enregistrements d'Opéra sont très demandés
Une concurrence qui fait rage
Au début du 20ème siècle, chacun des industriels cherche à imposer sa gamme d’appareils et son support physique associé car rien n’est encore standardisé, ni la taille des cylindres, ni leur vitesse de lecture. Le disque de Berliner parti avec un peu de retard va devancer rapidement ses concurrents grâce à une idée de son collaborateur Fred Gaisberg.
Visionnaire, ce dernier comprend que le seul moyen d’écraser le cylindre passe par la vente d’un catalogue d’enregistrements prestigieux. C’est lui qui fait de Caruso, célèbre chanteur d’opéra italien, la premières vedette de l’enregistrement phonographique. De leur côté, les frères Pathé entrent en piste et mettent en vente leur premier appareil à disque.
Jusqu’en 1920, les systèmes se développent mais la technique d’enregistrement reste approximative. Ce n’est qu’avec l’apparition du microphone électrifié que la qualité fait un bond en avant. Les premiers enregistrements sont assurés par la Columbia à Londres « On passe de la sensation d’un oracle lointain à une certaine idée de haute-fidélité » précise Jalal.

Le règne du disque enregistré
Alors que le pick up électrique fait son entrée chez les particuliers, la production de cylindres est abandonnée. La radio qui s’invite dès lors dans les foyers va accélérer la diffusion des enregistrements sur disque. Le phono-valise transportable va trouver son apogée tout au long des années trente, sur fond de bal musette et de chansons du Front Populaire. Avec l’arrivée du 78 tours, le disque se standardise enfin. Les années 40 verront l’arrivée des enregistrements sur bandes magnétiques et les premiers magnétophones.
Après guerre, par souci d’économie, la Columbia lance le microsillon, avec le format 33 tours en vinylite, un matériau peu cher. Il est désormais possible d’écouter une oeuvre complète de musique classique en changeant simplement de face. De son côté, la RCA commercialise son propre format, le 45 tours destiné à la variété. Avec le rock, le disque vinyle se généralise et les ventes d’électrophones décollent.
Plus tard, la cassette audio du néerlandais Philips, vierge ou pré-enregistrée devient la norme audio pour l’usage domestique tandis que le Walkman Sony, le lecteur à cassette portable, fait son apparition. Début 80, alors que le vinyle est à son faîte, le Compact Disc lancé par le consortium Sony/Philips le supplante en moins d’une décennie. Le CD qui aura connu sa période faste jusque dans les années 2000 se retrouvera lui aussi concurrencé par le format audio numérique avec l’arrivée d’Internet.
Aujourd’hui, la musique se télécharge, s’écoute en streaming, le support physique, condition de sa transmission dans le temps, a disparu.
Frédérique Chapuis
Le Phono Muséum, 53, bd de Rochechouart, Paris 9.
Horaires d’ouverture : vendredi et dimanche de 10h à 18h
Tarif : Adulte : 10€, Enfants : 5€, visite pour les groupes.
Des événements, concerts, lectures sont organisés au sein de cet écrin privatisable.